Les Précurseurs de la Renaissance

  • Léonard de Vinci 

"On ne peut qu'admirer la sottise ou la simplicité de ceux qui veulent que ces coquilles (les fossiles) aient été transportés par le déluge. […] Si cela était, elles seraient jetées au hasard, confondues avec d'autres objets, tous à une même hauteur, or les coquillages sont déposés par étages successifs. […] Les montagnes où sont ces coquillages étaient jadis des rivages battus par les flots, et depuis elles se sont élevées à la hauteur où nous les voyons aujourd'hui." Léonard de Vinci - 1508

Les idées visionnaires et modernes de Léonard de Vinci (1452-1519) quant à la vraie nature des fossiles et les mécanismes de fossilisation sont exprimées dans le ‘codex Leicester‘ : il réfute la génération spontanée in situ, la thèse du déluge, envisage le processus de sédimentation et attribue les ‘langues de serpents’ ou ‘glossopètres’ à des dents de poissons. Lire le texte de Jean Gaudant et Geneviève Bouillet dans le cadre des travaux du Comité Français d’Histoire de la Géologie (séance du 9 mars 2005). 

  • Jacobus Meydenbach

Jacobus Meydenbach (1455?-1510?) fait paraître en 1491 le premier livre imprimé consacré exclusivement aux Sciences naturelles « Hortus sanitatis » (le Jardin de la Santé) qui fera l’objet de nombreuses rééditions et traductions. Cette quasi encyclopédie traite des plantes, des animaux, des oiseaux, des pierres et des poissons. Ce dernier sujet est traité dans « Tractatus de piscibus » inspiré par les travaux d’Aristote, de Pline l’Ancien, de Macrobe (vers 370), d’Isidore de Séville (vers 800) emprunte également beaucoup aux croyances populaires. Quelques planches ci-dessous et la traduction de la planche 39 sur « Ostrea » (l’huitre) – facsimile aux Presses Universitaires de Caen.

  • Jeronimo Frascatoro

Jeronimo Frascatoro (1478-1553), célèbre médecin épidémiologiste (à l’occasion de la pandémie de Syphilis au début du XVIème siècle, il décrit la contagion par transmission d’organismes invisibles à l’œil nu) et érudit italien. Il n’a rien écrit au sujet des fossiles mais son contemporain Saraina témoigne (repris par Charles Lyell in Principes de Géologie (1830-35) qu’après la découverte de nombreux fossiles à Vérone en 1517, Frascatoro fait part de ses conclusions : réfutant une origine par génération spontanée ou d’un transport par le déluge, il affirme que les fossiles sont des restes d’organismes marins qui ont vécu à cet endroit, restés en place suite à un régression marine. Cf la pensée de Léonard de Vinci.

  • Georgius Agricola

Georgius Agricola – Georg Bauer (1494-1555), originaire de Saxe, est souvent considéré comme le père de la géologie et de la minéralogie. Grand observateur, il parcourt les montagnes à la recherche de fossiles et de roches. 
Dans son livre « De Re Metallica » (1556) Agricola restitue ses connaissances expérimentales géologiques, minières et surtout métallurgiques qui feront autorité jusque la fin du XIXème siècle. « De Natura fossilium« (1546) contient ses réflexions sur les fossiles. Sur ce sujet lire l’analyse de Jean Gaudant et Geneviève Bouillet dans le cadre des travaux du Comité Français d’Histoire de la Géologie présentée lors de la séance du 9 mars 2005. 

  • Girolamo Cardano

Girolamo Cardano, Jérome Cardan (1501-1576) médecin, philosophe, mathématicien italien – dont le père Fazio Cardano, juriste et avocat italien entretenait des relations amicales avec Léonard de Vinci – a sans doute eu accès à des cercles intellectuels et artistiques éminents. Il est l’auteur d’une sorte d’encyclopédie « de subtilitate » (1550) dans laquelle il développe des notions proches de celles de Léonard de Vinci :

« En mer, les récifs sont formés de la même manière ; ils proviennent d’îles dont la terre a été rongée par les flots. Mais à leur tour, si la terre qui les porte vient à s’élever et à s’enfler, ils se transforment en îles. Aussi la plupart des îles sont-elles très montueuses ; lorsque la mer s’est desséchée, les récifs sont devenus des montagnes. Il n’est donc point étonnant de trouver, au sein des montagnes qui avoisinent la mer, des épaves de navire, des huîtres et d’autres coquilles. N’est-ce pas la preuve que ces montagnes ont été jadis des récifs au milieu de la mer, ces montagnes ont été jadis des récifs au milieu de la mer, ou qu’elles ont été submergées par une grande inondation ? » De la subtilité et subtiles inventions, ensemble les causes occultes et les raisons d’icelles (1550) p59 – trad de Richard Le Blanc (1556) modernisée par Duhem dans Etudes sur léonard de Vinci (1906).

« On nomme Conchites une pierre semblable à une coquille, couverte de stries courbes et ornée d’une armature brillante. Une autre espèce de Conchites a l’aspect du marbre ; elle est blanche, tendre, et l’on y trouve habituellement des tests de coquillages. On ne la trouvait autrefois qu’au voisinage de la ville de Mégare, au témoignage de Pausanias. C’est un sûr indice que ce pays-là s’est trouvé, à une certaine époque, recouvert par la mer. En effet, lorsque les tests des coquillages sont fort anciens, en beaucoup d’endroits, ils finissent par se pétrifier au sein des rochers et sous la terre. Ils gardent leur forme, mais leur substance est changée… » De la subtilité et subtiles inventions, ensemble les causes occultes et les raisons d’icelles (1550) p 151 – trad de Richard Le Blanc (1556) modernisée par Pierre Duhem dans Etudes sur léonard de Vinci (1906).

  • Conrad Gesner

Conrad Gesner (1516-1565) est un naturaliste suisse auteur d’une monumentale « Historia animalium » (1551-…) surnommé le Pline helvétique : il invente la classification par ordre alphabétique et l’attribution d’une appellation latine en deux mots, le premier, le genre suivi d’un qualificatif dont s’inspirera Carl von Linné pour mettre au point le système de nomenclature binominale. Il procède par descriptions sommaires mais pour la première fois dans l’histoire il y a d’abondantes illustrations sur bois gravés particulièrement fines. Pour en savoir plus, lire l’analyse de Jean Gaudant et Geneviève Bouillet dans le cadre des travaux du Comité Français d’Histoire de la Géologie présentée lors de la séance du 9 mars 2005. 

Les fossiles (‘tirés du sol‘) traités dans l’ouvrage « de rerum fossilium, lapidum et gemmarum » (1565) sont répartis en 15 classes suivant un principe de similitude : voir la classe 13 qui regroupe « De lapidibus qui aquatilium animantium effigiem referunt » (‘des pierres qui ressemblent à des animaux aquatiques’) ci-dessous : 

  • Bernard Palissy 

Bernard Palissy (v.1510-1589/1590), Inventeur des ‘rustiques figulines’ du roi, crée un œuvre céramique grouillant de reptiles, batraciens et coquillages. Il met en scène un monde animal, végétal et minéral stupéfiant de vérité grâce à l’utilisation de la technique du moulage sur le vif et à la finesse des glaçures colorées transparentes, opaques ou translucides. Les coquillages sont essentiellement des moulages de mollusques bivalves : principalement des bucardes, des coques (Cerastoderma edule), des pétoncles (Chlamys sp.), des praires (Venus verrucosa) ; également quelques gastéropodes : petits bulots (Buccinum undatum, le buccin), des nasses (Nassa reticulata), des natices, des murex…. Tous ces coquillages étaient disponibles sur la côte rocheuse et sableuse des Charentes, à proximité de son atelier à Saintes. L’inclusion de moulages de fossiles Eocène du Bassin Parisien dans des bassins type ‘rustiques figulines’ semblent être l’œuvre d’ateliers continuateurs postérieurs à Bernard Palissy (Jean-Claude Plaziat). Pour connaître sa vie et sa pensée voir https://www.ouest-paleo.net/nos-articles/les-naturalistes-locaux/bernard-palissy/

Autodidacte, ne connaissant pas le latin, il a été peu influencé par les théories de ses prédécesseurs et, grâce à son sens de l’observation, il est une des grandes figures de la Renaissance. « Il y a plus de 140 ans qu’un auteur français qui semblait se faire gloire d’ignorer le grec et le latin a indiqué un grand nombre d’endroits du Royaume où des Coquilles sont ensevelies. je veux parler de Bernard Palissy, dont je ne voudrais pas adopter toutes les idées, mais dont j’aime extrêmement l’esprit d’observation et la netteté du style ». Réaumur – Communication à l’Académie Royale des sciences « Sur les coquilles fossiles de quelques cantons de la Touraine » (1720).

« II a fallu qu’un potier de terre, qui ne savait ni latin, ni grec, osât, vers la fin du XVIe siècle, dire dans Paris, et à la face de tous les docteurs, que les coquilles fossiles étaient de véritables coquilles déposées autrefois par la mer dans les lieux où elles se trouvaient alors ; que des animaux avaient donné aux pierres figurées toutes leurs différentes figures, et qu’il défiât hardiment toute l’école d’Aristote d’attaquer ses preuves. » Fontenelle – Histoire de l’Académie royale des sciences (1720)

« J’ay trouvé des montaignes où il y a par milliers de diverses coquilles pétrifiées, si près l’une de l’autre, que l’on ne saurait rompre le roc d’icelles montaignes en nul endroit, que l’on ne trouve quantité des dites coquilles, lesquelles nous rendent témoignages que elles ont généré sur le lieu et ont été pétrifiées en même temps que la terre et les eaux où elles habitaient furent aussi pétrifiées ». Bernard Palissy. 

C’est surtout au titre de 2 écrits significatifs qu’il nous intéresse ici : 

  • « Recepte veritable, par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre a multiplier et augmenter leurs thresors » (1548). Grace à son observation de la nature, Bernard Palissy y expose que les ‘pierres figurées‘ qu’il récolte en Charentes, Ardennes et Champagne sont en fait des restes d’anciens organismes vivants. Extrait
  • « Discours admirables de la nature des eaux et fontaines, tant naturelles qu’artificielles, des métaux, des sels et salines, des pierres, des terres, du feu et des émaux » (1580). Extrait. Bernard Palissy y expose notamment dans le chapitre « des pierres » sa théorie sur la pétrification des ‘pierres figurées‘, organismes encore présents dans la mer ou ayant disparu (d’où une des premières formulations de la notion d’extinction d’espèces). Il y réfute également le rôle du Déluge biblique dans la dispersion des fossiles marins loin de la mer, jusqu’en haut des montagnes. Concernant les fossiles dont Bernard Palissy évoque la présence en Champagne, il pourrait s’agir de fossiles provenant du gisement de ‘Venteuil en Valois’ près de Damery (51) où l’on trouve « des buccines de diverses grandeurs bien souvent aussi longues que la jambe d’un homme » (on peut y voir l’évocation de Cerithium giganteum, Lmk 1804) .

On trouve sous la plume de Bernard Palissy une des premières évocations dans la littérature des fossiles trouvés dans le Bassin Parisien : « Et quand est des pierres ou il y a plusieurs espèces de coquilles, ou bien qu’en une même pierre, il y en a grande quantité, d’un même genre, comme celle du faubourg saint Marceau lez Paris*, elles là sont formées en la manière qui s’en suit, savoir est, qu’il y avait quelque grand réceptacle d’ eau, auquel était un nombre infini de poissons armés de coquilles, faites en limace piramidale. » Des pierres p216

*L’urbanisation de ce faubourg de Paris n’intervient que plus tard, malgré la présence de carrières de pierres à bâtir dans le secteur dès l’Antiquité. Ce sont avec ces pierres que sont faits les murs de Notre-Dame de Paris, l’église Saint-Germain des Prés ou de l’enclos des Templiers. À la fin du Moyen Âge, le bourg Saint-Marceau ou Saint-Marcel, non encore rattaché à Paris – il ne le sera qu’en 1724 – est appelé « Saint-Marcel-lez-Paris ».

L’évocation des espèces disparues : c’est une première dans l’histoire de la Paléontologie et un autre apport essentiel de Bernard Palissy qui est d’envisager que des espèces vivantes (cf les ammonites, les rudistes) puissent avoir disparu : même si, concernant les ammonites et les rudistes, la cause d’extinction formulée par Bernard Palissy est fausse (surpêche), il va, bien avant Cuvier, à l’encontre non seulement de la pensée d’Aristote pour qui le vivant est stable et permanent mais aussi des dogmes chrétiens pour qui toute créature est l’oeuvre de Dieu.   

« Un grand nombre qui sont petrifiées, dont la semence en est perdue, pour les avoir trop poursuyvis » Discours admirables, Livre des Pierres [p. 215]

« Une autre fois je me pourmenois le long des rochers de ceste ville de Xaintes, et en contemplant les natures, j’aperceu en un rocher certaines pierres qui estoyent faites en façon d’une corne de mouton, non pas si longues, ni si courbees, mais communement estoyent arquees, et avoyent environ demi pied de long. Je fus l’espace de plusieurs annees, devant que je cogneusse qui pouvoit estre la cause, que ces pierres estoyent formees en telle sorte : mais il advint un jour, qu’un nommé Pierre Guoy, Bourgeois et Eschevin de ceste ville de Xaintes, trouva en sa Mestairie une desdites pierres, qui estoit ouverte par la moitié, et avoit certaines denteleures, qui se joignoyent admirablement l’une dans l’autre : et parce que ledit Guoy sçavoit que j’estois curieux de telles choses, il me fit un présent de ladite pierre, dont je fus grandement resjouy, et dès lors je cogneu que ladite pierre avoit esté d’autre fois une coquille de poisson duquel nous n’en voyons plus…..Et faut estimer et croire que ce genre de poisson a d’autres fois fréquenté à la mer de Xaintonge, car il se trouve grand nombre desdites pierres, mais le genre du poisson s’est perdu, à cause qu’on l’a pesché par trop souvent, comme aussi le genre des Saumons se commence à perdre en plusieurs contrées des bras de mer, parce que sans cesse on cherche à le prendre à cause de sa bonté.  » Discours admirables, Livre des Pierres [p. 216]

« Il s’en treuve en la Champagne & aux Ardennes de semblables à quelques especes d’aucuns genres de pourpres, de buccines, & autres grandes limaces, desquels genres ne s’en trouve point en la mer Oceane, & n’en void on par le moyen des nautonniers, qui en apportent bien souvent des Indes & de la Guinée » id. [p. 226].

  • Ulissis Aldrovandi

Ulissis Aldrovandi (1522-1605) est un physicien et naturaliste italien reconnu pour ses observations de terrain méthodiques et précises de tous les objets de Sciences Naturelles. On lui doit l’usage du terme ‘Géologie‘ au sens actuel in « Geologia ovvero de fossilibus ». Aimant à se définir comme ‘historicus et illustrator naturae, avec une grande exigence scientifique, il est l’auteur d’un énorme ‘compendium naturaliste, comprenant pour chaque espèce : description, nom, figuration, régime alimentaire, modes de reproduction, usage en médecine, qualité culinaire, mythologie associée… Les coquilles y ont leur place dans le recueil « De reliquis animalibus exanguibus libri quatuor, Mollusks Crustacea Coelenterata Zoology« (1606). Quelques exemples :

  • Michele Mercati

Michele Mercati (), est un naturaliste italien. Précurseur en minéralogie, en paléontologie, il enrichit le musée du Vatican d’une collection minéra /paléontologique ‘la métallothèque’. Son ouvrage ‘Metallotheca Vaticana‘, catalogue de la collection,  illustré de reproductions de planches de cuivre n’est publié qu’en 1717. Un genre d’ammonite de la famille des ‘Hildoceratidae’ porte son nom ‘mercaticeras. Adepte de la génération spontanée (voir 1ère planche ci-dessous)

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