Mosaïques

Les minéraux et les coquilles ont depuis la lointaine antiquité servi à composer des pavements ou des revêtements muraux, à décors géométriques ou figuratifs, dans des lieux publics et privés, des sanctuaires ou des endroits d’agréments. Suivant la technique et les matériaux utilisés, différentes types de mosaïques ont été identifiées: du simple agencement de galets de rivière de la Mésopotamie antique (opus lapilli) aux marqueteries florentines de pierres fines du XVIIème siècle (commesso fiorentinoen passant par la mosaïque de tesselles (opus tessellatum), la mosaïque de marbre (opus sectile) et par les rocailles de coquilles (opus musivum). 

SOMMAIRE

1- Opus lapilli 2- Opus tesselatum 3- Opus musivum 4- Opus sectile 5- La marqueterie florentine au MNHN

1-Opus lapilli

Des mosaïques datant de 3000 ans av.J.C. ont été découvertes en Mésopotamie. Ces mosaïques antiques sont essentiellement composées avec des galets, généralement de rivières, ou des pierres calcaires et servent à réaliser des pavements. A rapprocher de la technique encore actuelle de calades qui recouvrent certaines chaussées ou passages.

 

2-Opus tessellatum

Puis la technique opus tessellatum dite mosaïque de tesselles (petits cubes -1cm de côté- de marbre, de pierres ou de pâte de verre et de coquillages) s’impose durant toute l’antiquité grecque et romaine. Cette technique est utilisée pour la composition des mosaïques de pavement ou pariétales qui représentent des figures géométriques, des compositions figuratives, des scènes de la mythologie grecque ou romaine, des représentations totalement centrées sur la religion, notamment dans les églises byzantines.

L’apogée de la mosaïque de tesselles est atteint par l’art byzantin dans les décors pariétaux des églises. La mosaïque byzantine est alors composée d’émaux très colorés et de tesselles d’or (feuille d’or enfermée entre deux couches de verre). Des dégradés dans les couleurs et l’inclinaison des tesselles permettent de créer de multiples reflets de lumière sur la mosaïque colorée, donnant une intensité particulière aux compositions.

Dès le IVe s. les mosaïques de Ravenne en Italie sont caractéristiques de l’art Byzantin qui va perdurer jusqu’au XIe s. avec la décoration pariétale de St Sophie à Istanbul.

 

3-Opus musivum

L’opus musivum est une technique qui mêle la mosaïque, la peinture murale et le stuc. Développé dans l’empire romain à partir du IIème siècle av. J.C. Il utilise des matériaux aussi divers que les coquillages, – Littorina littorea (bigorneau), cardium edule (coque), murex, pecten moules, ormeaux, strombes…-, les coraux, les rocailles, le verre (sous forme de fragments, de figures moulées, de rubans torsadés et de tesselles), la pierre (en éclats ou en tesselles), le tout incrusté dans un enduit. Souvent les coquilles servent de cadres aux autres matériaux. 

Cette technique est d’abord utilisée pour réaliser des nymphées, sanctuaires consacrés aux nymphes, qui prennent souvent la forme de grottes où coule une source ou une fontaine.

Témoin majeur de cette technique, la maison de la grande fontaine appartenant à Helvius Vestalis, marchand de fruits, et la maison de la petite fontaine à Pompéii. 

L’engouement à partir de la Renaissance pour l’Antiquité conduit dans l’ensemble de la France à la réalisation de nombreux nymphées, grottes et rochers dans les parcs et jardins ainsi que des décorations intérieures en rocaille. 

Les coquillages 

Chaque coquillage incrusté
Dans la grotte où nous nous aimâmes
A sa particularité.

L'un a la pourpre de nos âmes
Dérobée au sang de nos cœurs
Quand je brûle et quand tu t'enflammes  ;

Cet autre affecte tes langueurs
Et tes pâleurs alors que, lasse,
Tu m'en veux de mes yeux moqueurs ;

Celui-ci contrefait la grâce
De ton oreille, et celui-là
Ta nuque rose, courte et grasse ;

Mais un, entre autres, me troubla.

Fêtes galantes, Paul Verlaine 

          Le style rocaille

Sous la Régence de Louis XV, un style de décoration est en vogue, appelé style Régence ou style rocaille ou encore rococo, caractérisé par la fantaisie des lignes contournées rappelant les volutes des coquilles avec leurs enroulements. Il trouvera, par exemple, son expression dans le mobilier (Juste-Aurèle Meissonnier 1695-1750) et en ferronnerie (Nancy, les grilles de la place Stanislas par Jean Lamour 1698-1771) 

Parmi les innombrables témoins de cette technique, quelques exemples les plus représentatifs en France :

La grotte du château de la Bâtie d’Urfé (42), le nymphée du château d’Auvers sur Oise, la grotte de coquillages de Coulommiers, le nymphée du séminaire st Sulpice à Issy les Moulineaux, les grottes et bosquets du parc du château de Versailles (description de la grotte de Téthys par Jean de La Fontaine), le nymphée du domaine de Piedefer à Viry Chatillon, la grotte du château de Vendeuvre, Le buffet d’eau du château de la Mogère, la chaumière aux coquilles du château de Rambouillet…

Une mention particulière pour la grotte du château de la Bâtie d’Urfé (42) datant de  1550 env. qui est la plus représentative de ces nombreuses cavernes imaginaires dont a raffolé l’élite européenne de l’époque. La grotte, unique par sa conception et ses dispositions est sans doute la plus ancienne construction de rocailles, de coquillages, de stuc et de bois conservée en Europe dans un tel état d’authenticité. 

 

Réalisations diverses en coquilles

 

1-The Margate shell grotto

Une autre mention particulière à la grotte souterraine de coquilles découverte au début du XIXème siècle à Margate, dans le sud de l’Angleterre. Recouvert exclusivement de plusieurs millions de coquilles, cet espace souterrain reste un mystère quant à son âge et à son usage. 

 

2-La cave aux coquillages

 

 

Galerie creusée dans le banc à vérins (cerithium giganteum) du lutétien moyen du Bassin de Paris (-45 MA). Patrice et Anne Legrand à Fleury la Rivière (51). 

Fossiles de Cerithium giganteum in situ dans le banc à vérins -la cave aux coquillages - Anne et Patrice Legrand - Fleury la Rivière (51) - Lutétien moyen 45MA - Photo Hélène Clouté
Fossiles de Cerithium giganteum in situ dans le banc à vérins – Fleury la Rivière (51) – Lutétien moyen (45Ma) – Photo Hélène Clouté

 

4-Opus sectile 

« Je ne sais s'il faut attribuer à la Carie l'invention de l'art de scier le marbre en tablettes. L'exemple le plus ancien de cette pratique, à ma connaissance, est fourni par le palais de Mausole à Halicarnasse : les murailles, en brique, sont recouvertes en marbre de Proconnèse. Mausole mourut la seconde année de la cent sixième olympiade, l'an de Rome 402 av J.-C.... Mais ne parlons plus des tremblements de terre, et de toutes ces catastrophes terrestres qui laissent du moins subsister les tombeaux des villes; parlons plutôt des merveilles que des crimes de la nature; et certes les merveilles célestes ne sont pas plus difficiles à raconter ». Histoires naturelles - Pline l'Ancien 36- VI
«Les trésors métalliques, si variés, si abondants, si féconds, renaissant depuis tant de siècles, malgré la destruction quotidienne qui s'en fait sur tout le globe par le feu, par les ruines, par les naufrages, par les guerres, par les fraudes, malgré ce qu'en consomment le luxe et les besoins de tant d'hommes ; les gemmes, où jouent tant et de si belles couleurs ; les pierreries si diversement veinées ; et entre autres ce marbre d'une blancheur diaphane qui ne laisse rien passer, exceptée la lumière» Pline - Histoire naturelle Livre II XCV.

 

L’opus sectile est une technique qui consiste à réaliser des mosaïques par découpe et assemblage de plaquettes de marbres de différentes couleurs de façon à constituer un dessin géométrique ou figuratif. De nos jours on l’appelle aussi « marqueterie de marbre » ou « marqueterie de pierre ». Ces plaquettes sont de plus grande taille que les tesselles.

Cette technique est très employée dans les derniers siècles de l’Empire romain, dans les pavements byzantins, le style cosmatesque italien, à la Renaissance et dans les décors baroques (surtout en Italie) jusque dans l’Opéra Garnier de Paris.

Progressivement quelques autres minéraux sont incorporés (porphyres, granit, pâtes de verre) et les motifs deviennent plus figuratifs.

 

5-La Mosaïque florentine

La mosaïque florentine, aussi appelée marqueterie florentine est une technique « comessi di pietre dure » qui consiste à découper les éléments d’un tableau modèle créé par un ornemaniste ou un peintre naturaliste dans des « pierres dures » (marbres, pierres fines…) de différentes couleurs et de les faire s’emboîter, extrêmement imbriquées les unes dans les autres, comme les carreaux d’une mosaïque ou les pièces d’un puzzle et de les assembler ensuite en les fixant en contre parement sur un support de marbre. Ainsi sont fabriqués des cabinets, des coffrets, des plateaux de table en marqueterie de pierres fines de différents décors : motifs naturalistes (bouquets de fleurs, fruits, oiseaux), motifs géométriques, paysages, arabesques, divers attributs, ornements issus du modèle original. Cet assemblage d’incrustations à base de couleurs, de nuances, d’ombres crée un effet chromatique très proche de celui obtenu en peinture. 

En 1588, Ferdinand Ier de Médicis fonde à Florence la «Galleria dei Lavori», réputée en Europe pour ses « pietre dure » (pierres dures …à travailler, essentiellement des pierres fines). Naîtra à Florence à la même époque, « l’Opificio delle pietre dure » spécialement dédié à la décoration des tombeaux des Médicis dans la chapelle des Princes de l’église San Lorenzo.

De nombreux ateliers avec différentes techniques de travail se sont créés, à partir de ce noyau, en Italie mais aussi dans toute l’Europe (Prague, Russie, Manufacture des Gobelins..) et vont fournir leurs productions aux différentes cours européennes.

  • La marqueterie florentine au MNHN

En particulier, trois tables de marqueterie florentine, fabriquées dans les ateliers de Florence sont entrées dans le mobilier royal français sous Louis XIV, autour des années 1660/1670. Elles sont maintenant en dépôt au MNHN : la table des Orsini présentée dans l’exposition ‘Pierres précieuses’ en 2021, la table à la grenade et la table au collier de perles qui sont actuellement présentées dans la galerie de minéralogie.

          1-La table des Orsini

 

D’après le texte (extraits) de Jean des Cars – diffusion les 12 et 13 avril 2021 sur Europe 1 dans l’émission « Au cœur de l’Histoire » et les photos © MNHN – J.-C. Domenech, voici la description de la table et l’histoire de son arrivée en France en décembre 1660 dans les mains du Cardinal Mazarin : histoire de la table des Orsini.

La magnificence de son goût et les immenses revenus qu’il perçoit en tant que cardinal-ministre de Louis XIII sont à l’origine de l’extraordinaire richesse des collections (antiques, peintures, orfèvrerie, ébénisterie, bibliothèque…) constituées par le Cardinal Mazarin. Il est, notamment,  grand amateur de marqueteries polychromes et propriétaire de tables et d’un nombre encore plus important de coffrets et cabinets incrustés de pierres dures. 

Après le décès de Mazarin en 1661, Colbert rachète en 1668 la table des Orsini à ses héritiers pour le compte de Louis XIV qui fit placer cette table aux Tuileries dans la Galerie des Ambassadeurs. Ultérieurement elle est déplacée au Louvre avant d’intégrer le Garde-Meuble de la Couronne (alors situé dans l’Hôtel du Petit-Bourbon-gravure de 1652), institution en charge de la gestion du mobilier royal.

Buffon, qui en 1745 a ouvert au public le « Cabinet Royal d’Histoire Naturelle », demande à acquérir plusieurs coffrets et cabinets incrustés de pierres ainsi que la table des Orsini qui sont en dépôt au garde-meuble de la couronne. 

Augustin de Fontanieu, intendant du Garde-Meuble, appuie la requête de Buffon auprès de Louis XV qui autorise le don en décembre 1747. Buffon réceptionnera coffrets, cabinets et la table des Orsini le 25 avril 1748 (un premier don, en faveur du Cabinet Royal, avait eu lieu en février 1742).

          2-La table au collier de perles

 

Cette table réalisée à Florence, d’après un dessin attribué à l’artiste naturaliste florentin Jacopo Ligozzi, dans les ateliers des grands-ducs Médicis (1er quart du XVIIe siècle), fut donnée par Ferdinand II de Médicis au cardinal Antonio Barberini (archevêque de Reims, neveu du pape Urbain VIII). Par l’intermédiaire de Mazarin, cette table est intégrée au mobilier royal. Mentionnée dans le cabinet des tableaux de l’hôtel de Gramont à Versailles en 1681, puis dans le cabinet du Conseil du château de Compiègne à partir de 1749 elle transférée au MNHN fin 1799/début 1800.

C’est une table en marbre noir des Ardennes belges, incrusté de pierres dures (lapis-lazuli, cornaline, agate, jaspes, améthyste, amazonite, corail, smaragdite, calcédoine…). Au centre d’un décor naturaliste de fleurs (tulipe, lis, couronne impériale, œillet), d’oiseaux (perruche, perroquet, martin-pêcheur) et d’insectes (papillon, criquet, libellule) sont représentés quatre oiseaux tenant deux rubans en jaspe rouge et un collier de perles en calcédoine.
 

           3-La table à la grenade

 

Table réalisée à Florence, probablement achetée à Rome en 1668 par l’abbé Luigi Strozzi, correspondant artistique des principaux ministres de Louis XIV, pour le mobilier royal. Elle est mentionnée dans les appartements du Roi au chateau de Compiègne à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle et transférée au MNHN fin 1799/début 1800.

C’est une table en marbre noir des Ardennes belges (au grain extrêmement fin, à la teinte uniforme d’un noir profond, sans taches ni veinage), incrusté de pierres dures (lapis-lazuli, cornaline, agate, jaspes, améthyste, amazonite, grenat almandin…). Au centre d’un décor naturaliste de fruits, de fleurs, d’insectes et d’oiseaux, est représentée une grenade entr’ouverte dont les grains sont en grenat almandin.

Charles Rohault de Fleury (1801-1875) architecte du MNHN (galerie de Minéralogie et  première serre métallique -en fonte- du jardin des plantes) a réalisé en 1837 le plan des collections exposées dans la galerie de Minéralogie avec, notamment, le positionnement des 3 tables de marqueterie florentine (Stéphane Castelluccio, « Du Garde-Meuble de la Couronne au MNHN », Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, 2017).

 

Bibliographie

lien Lucien Gratté – Survivance de l’Art pariétal

L’opus musivum à coquillages en Bourgogne, Sandrine Heidet

Du garde meuble de la couronne au MNHN, Stéphane Castelluccio 

www.kuriositas.com/2015/05/the-mystery-of-margate-shell-grotto.html

 
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