Les précurseurs du XVIIIème siècle

  • Scheuchzer

Johann Jacob Scheuchzer (1684-1738) est un médecin et naturaliste suisse. Il publie en 1708 « Piscium querelae et vindiciae » (‘Doléances et revendications des poissons’) où il réaffirme la théorie émise par Colonna en 1616 et Stenon en 1667 de l’origine organique et …diluvienne des fossiles. Plaquette rédigée par Scheuchzer à l’occasion de la sortie de son livre. Compte rendu de Fontenelle dans « Histoire et mémoires de l’Académie royale » p.34 (1708). (A noter qu’à la page 21 du même compte rendu de Fontenelle on trouve la relation de la communication de M.Tournefort).

Article de Jean Gaudant sur « John Woodward (1695) et Johann Jakob Scheuchzer (1708) : l’irruption du Déluge dans l’interprétation des fossiles« – COFRIGEO juin 2008Ici

Dans son livre « Lithographia Helvetica«  (1726), Scheuchzer décrit un fossile et l’appelle « Homo diluvii testis«  (‘Homme témoin du Déluge’), pensant y voir le squelette d’un enfant ou d’un homme noyé au cours du Déluge biblique. En 1812, Cuvier déterminera qu’il s’agissait d’une salamandre qui fut baptisée Andreas (« image de l’homme ») scheuchzeri (Holl1831)!

  • Pourtant la théorie de l’ensemencement a toujours cours en 1709 : Carl Nicolai Langius (1670-1741) publie « Tractatus de origine lapidum figuratorum » (‘Traité de l’origine des pierres figurées’) ou il réfute dans sa préface la théorie du Déluge au profit « de très petites semences de coquillages [qui] ont été diffusées à travers les fissures souterraines depuis la mer dans les plus hautes montagnes et mêlées à une matière lapidescente, se sont développées en corps pierreux de ce genre, très semblables aux coquillages marins » Gaudant – COFRIGEO juin 2008
  • Louis Bourguet

Louis Bourguet (1678-1742) naturaliste, géologue. Ses principaux ouvrages « Dissertation sur les pierres figurées » (1715) et « Traité des pétrifications » (1742)

 

  • Benoît de Maillet 

Benoît de Maillet (1656-1738) Le Telliamed

 

  • Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville 

Antoine Joseph Dezallier d’Argenville (1680-1765) est un naturaliste, collaborateur de l’Encyclopédie, grand amateur de Cabinets de Curiosités, grand voyageur et correspondant de nombreux savants et ‘curieux’ d’Europe. Il évoque Grignon dans « enumerationis fossilium quae in omnibus Galliae provincis reperientur, tentamina » paru en latin en 1751 et inclus en français en 1755 dans son livre L’Oryctologie sous le titre « Essai sur l’Histoire Naturelle des fossiles qui se trouvent dans toutes les provinces de France » qui est un catalogue de tous les sites fossilifères de France et de leur contenu dont près d’une centaine en Champagne et Ile de France . 

« Les environs de Verſailles offrent aux Curieux un bois pétrifié, où d’aſſez gros buccins ſe ſont incruſtés ; la terre de Grignon près de la même ville, a des ſablonnieres en maſſe & fort élevées, toutes remplies de foſſiles de différens genres, ils ſont petits & tout blancs. On y trouve principalement des rochers, des buccins, des vis, des cames, des limaçons à bouche applatie, tels que l’éperon, des tellines, des tonnes, comme la harpe, la porcelaine, le bonnet chinois ou cabuchon, des poulettes & des boucardes».

Et toujours la théorie du déluge pour expliquer la répartition des fossiles…(1755)

  • Carl von Linné
« Deus creavit, Linnaeus disposuit » « Dieu a créé, Linné a organisé » Linné

Telle était la devise de Carl von Linné célèbre naturaliste et médecin suédois (1707-1778) qui, au milieu du XVIIIe siècle, a révolutionné la manière dont nous comprenons et nommons la diversité du monde naturel. Dans son œuvre majeure, le Systema Naturae, publié entre 1735 et 1767, Linné posa les bases de la classification systématique en introduisant la nomenclature binominale pour décrire les espèces animales et végétales.

 

Dès 1735 dans son premier essai de classification systématique des trois règnes (animal, végétal et minéral) de la nature, il divise les animaux en six groupes (Quadrupèdes, Oiseaux, Amphibiens, Poissons, Insectes et Vers) ; les mollusques sont classés dans le groupe des Vers.

La nomenclature binominale, une innovation majeure de Linné, attribue à chaque organisme un nom scientifique (nom ou binôme linnéen) composé de deux termes en latin : le nom générique (genre) suivi du qualificatif spécifique (espèce). Cette approche, d’abord appliquée aux plantes dans son ouvrage Species Plantarum de 1753, puis étendue aux animaux (dont les mollusques) en 1758 dans le Systema Naturae, offre un langage commun et standardisé qui facilite la communication entre les naturalistes et avec le grand public. Cette méthode, basée principalement sur les caractéristiques morphologiques, permet une identification précise et universelle des organismes, jetant ainsi les bases d’une classification cohérente et rigoureuse. Cette nomenclature progressivement utilisée par tous les scientifiques à partir du début du XIXᵉ siècle est toujours en vigueur de nos jours. 

« La méthode, âme de la science, désigne à première vue n’importe quel corps de la nature, de telle sorte que ce corps énonce le nom qui lui est propre, et que ce nom rappelle toutes les connaissances qui ont pu être acquises, au cours du temps, sur le corps ainsi nommé ; si bien que, dans l’extrême confusion apparente des choses, se découvre l’ordre souverain de la nature. » Systema Naturae, 1766-1767.

Les précurseurs de Linné, tels que Guillaume Rondelet, Pierre Belon, Jean Bauhin avaient déjà envisagé une nomenclature binominale, mais c’est Linné qui l’a systématisée et popularisée :

Guillaume Rondelet (1507-1566) médecin et naturaliste français, est le premier à utiliser une nomenclature binominale, en latin, dans « l’Histoire des entière des poissons » en 1553 :  Chama Peloris, Concha margaritifera, Cochlea umbilicata, Ostrea marina, Turinemn auritum (Photo ci-contre).

Pierre Belon (1517- est un naturaliste français. Dans « L’Histoire de la nature des estranges poissons marins » publié en 1551, il décrit et nomme diverses espèces de poissons en utilisant des termes latins.

Jean Bauhin ( médecin et naturaliste d’origine française, auteur d’une encyclopédie botanique, est le premier à avoir pensé, au début de la Renaissance, à une nomenclature regroupant genre et espèce.

Joseph Pitton de Tournefort (botaniste français a contribué à affiner la classification des plantes en utilisant les notions de genre et d’espèce.

Quelques points clés concernant l’évolution de la nomenclature binominale proposée par Linné en 1758 pour les mollusques :

Ce système permettant une identification précise et universelle des mollusques, facilite ainsi leur classification. De ce fait la nomenclature binominale est utilisée dans le cadre d’une classification hiérarchique des organismes : les espèces sont regroupées en genres, les genres en familles, les familles en ordres, et ainsi de suite, formant ainsi une structure taxonomique qui reflète les relations évolutives entre les organismes.

Développements au 19e siècle :

Au début du 19e siècle, des naturalistes tels que Georges Cuvier et Jean-Baptiste Lamarck ont contribué à l’élaboration de la classification des mollusques, proposant de nouvelles familles, genres et espèces, tout en consolidant l’usage de la nomenclature binominale. La nomenclature binominale a été largement adoptée pour décrire ces nouvelles découvertes.

Évolution de la classification et de la nomenclature binominale :

La nomenclature binominale a évolué avec la classification des mollusques qui a subi de nombreuses révisions au fil du temps à mesure que de nouvelles informations sur leur biologie, leur morphologie et leur phylogénie sont devenues disponibles. Plus récemment les techniques de séquençage de l’ADN, l’observation sous lumière ultraviolette des motifs colorés résiduels sur les coquilles (© MNHN) ont permis de mieux comprendre les relations phylogénétiques entre les différents groupes de mollusques. Tous ces progrès dans la compréhension de la diversité biologique et des relations évolutives entre les espèces ont conduit à des révisions de la classification et à des changements dans les noms scientifiques des mollusques.

  • Exemple de nomenclature binominale et de description pour Conus spinosus (genre, espèce) par Linné in Systema naturae éd. 1758 Tome 1 p 715. 

 

 

Michel Pacaud et Jacques Pons in Fossiles n°16, Revue française de Paléontologie, auteurs du positionnement des moulages de fossiles d’Athleta (Volutospina) spinosus sur le plat réalisé par des ateliers postérieurs à celui de Bernard Palissy (photo ci-contre) et détenu par le MET font apparaître les différentes figurations d’Athleta (Volutospina) spinosus (Linnaeus, 1758) et dénominations à partir du XVIIe siècle :

Le nom de ce taxon, avant d’être défini par Linné en 1758, est décrit comme « a sabuletis Parisiens »  (extrait des sables de Paris) par Anna et Suzanna Lister (1692), comme « une sorte de murex fossile« par James Petiver (1711), comme « un strombus » par Niccolo Gualtieri (1742), comme « un rocher… nommé Muricite avec des pointes dans toute son étendue… » par Dezallier d’Argenville (1742), sans oublier une des appellations les plus poétiques « Le rocher à liserés couronné d’épines«  par M. Favanne de Montcervelle (1784)…

A partir de cet exemple, on constate que faute d’un langage précis et universel, les auteurs ont utilisé de nombreuses appellations et descriptions, rendant difficile la capitalisation de l’évolution de toutes les données acquises.  

  • Exemple d’évolution ultérieure de l’appellation Conus spinosus proposée par Linné (1758) dans le cadre de sa première nomenclature binominale appliquée aux mollusques : elle est devenue Strombus spinosus par Shröter (1784) et Chemnitz (1795), Voluta spinosa par J.B. de Lamarck (1816) et G.P. Deshayes (1824), Volutilithes spinosa par Briart et Corn (1869), Volutilithes spinosus par Cossmann (1889), Athleta* (volutospina) spinosa par Cossmann (1913) et Athleta (volutospina) spinosus (Linnaeus, 1758) nom actuel par J. Le Renard et J.M. Pacaud (1995) (genre, sous-genre, espèce, auteur, date, extinction). 

*Timothy Abbott Conrad paléontologue américain (1803-1877) est l’auteur du genre Athleta en 1853. Article publié dans Proceedings of the Academy of Natural Sciences of Philadelphia (1853) p448. 

 

Règles de nomenclature spécifiques :

Des règles de nomenclature spécifiques aux mollusques ont été établies pour garantir la cohérence et la précision dans la classification, notamment par des organismes tels que  la Commission internationale de nomenclature zoologique (ICZN en anglais), instituée en 1895, lors du 3e congrès international de zoologie de Leyde. Son rôle essentiel est d’établir le Code international de nomenclature zoologique qui contient toutes les règles de désignation des espèces animales, dont les mollusques.

Des bases de données en ligne, comme World Register of Marine Species (WoRMS), MolluscaBase répertorient les noms valides des espèces de mollusques, ainsi que des informations sur leur taxonomie, leur répartition géographique et d’autres aspects de leur biologie.

 

En somme, la nomenclature binominale introduite par Linné a été un pilier essentiel de la classification des mollusques, suivant une évolution parallèle à celle des autres groupes d’organismes. Malgré les ajustements nécessaires au fil du temps, elle s’avère robuste et demeure un outil fondamental pour les scientifiques dans leur exploration et leur compréhension de la diversité biologique de notre planète.

 

Bibliographie :

François Ellenberger Histoire de la Géologie

Jean GAUDANT et Geneviève BOUILLET La paléontologie de la Renaissance – (COFRHIGEO) (séance du 9 mars 2005)

JD mars 24

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