GRIGNON menacé!

Le PSG poursuit sa mutation. Selon « Le Parisien », le club aurait choisi de déménager son centre d’entraînement, actuellement installé à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), à Thiverval-Grignon, sur le site abritant notamment une école d’ingénieurs et un site paléontologique prestigieux. La vente de ce domaine par l’Etat serait une perte inestimable, mettent en garde Jean-Pierre Gély* et Didier Merle**.

Édité et parrainé par Sébastien Billard

Déménagement du PSG : le site de Grignon a une valeur inestimable. Préservons-le

Le domaine de l’Institut national agronomique Paris-Grignon (INA P-G) est menacé de vente à brève échéance.

Ce lieu remarquable est chargé d’histoire. Son château Louis XIII, classé au titre des monuments historiques, son école d’agriculture, ses dépendances, ses jardins et son arboretum, sont encore la propriété du Ministère de l’Agriculture.Ce domaine, qui s’étale sur près de 500 hectares, est inscrit à l’inventaire des Zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique.

Un patrimoine à la valeur inestimable

Ce que le grand public sait moins en revanche, c’est la présence en ce lieu de l’un des sites paléontologiques parmi les plus prestigieux au monde.

Il l’est par le rôle qu’il a joué dans l’histoire des sciences de la Terre et de la théorie de l’évolution au début du XIXe siècle. Il l’est aussi par l’importance qu’il revêt pour la recherche scientifique actuelle.

Pour toutes ces raisons, ce patrimoine a été identifié comme majeur par l’Etat qui l’a inscrit dans sa stratégie de création des aires protégées (SCAP) en Ile-de-France. Le conseil scientifique régional du patrimoine naturel d’Ile-de-France (CSRPN) confirme le fort potentiel scientifique que présente le site de Grignon par sa motion votée à l’unanimité le 26 novembre dernier.

Or la vente de ce domaine par l’Etat, selon toute vraisemblance au club de football du PSG, remet en cause la pérennité de ce patrimoine inestimable pour les générations futures.

Un « hot-spot » de la paléobiodiversité

Depuis 250 ans, le gisement fossilifère de Grignon est chargé d’une longue histoire. Elle est très étroitement liée aux développements de la géologie en Europe. Les travaux d’illustres auteurs comme Linné, Lamarck, Cuvier et Brongniart ont immortalisé Grignon à travers le monde.

Une richesse exceptionnelle qui fait de Grignon un « hot-spot » de la paléobiodiversité. Avec plus de 1.200 espèces d’invertébrés marins fossiles, la richesse de Grignon en fait le gisement le plus riche au monde pour toute l’ère Tertiaire (une période de 66 millions d’années).

La qualité de conservation des coquillages fossiles est rarissime. Après 45 millions d’années, ces fossiles conservent encore leur coloration et leur ornementation. Ceci classe Grignon dans la catégorie des gisements à préservation exceptionnelle.

Des fossiles découverts sur le site de Grignon (DR).

La communauté scientifique considère Grignon comme la référence pour l’étage Lutétien (entre 40-48 millions d’années) dans l’échelle internationale des temps géologiques.

L’absence d’équivalent dans le monde fait donc de Grignon un bien culturel pour l’humanité. Sa perte engagerait la responsabilité de notre pays, vis-à-vis d’un site d’exception qu’il est sensé préserver.

Quel avenir pour les recherches déjà engagées ?

 Comment se sont formés les « hotspots » de la biodiversité et comment disparaissent-ils au cours du temps ? Cette question d’actualité, au moment où notre biodiversité est gravement menacée, prend toute son importance. Or Grignon peut apporter une dimension temporelle à cette question brûlante grâce aux travaux des paléontologues.

Quelle est l’influence du climat sur la biodiversité ? Grâce à la bonne préservation des fossiles, les études en cours se concentrent sur l’analyse de l’évolution de la biodiversité ancienne en lien avec les variations climatiques durant le Lutétien. A l’heure de la COP21, comprendre le climat du passé pour anticiper l’avenir devient vital…

Comment le monde vivant évolue face aux contraintes environnementales ? Grâce aux coquilles fossiles de Grignon, il est possible aujourd’hui de révéler les couleurs du passé. Leur étude représente une voie à peine défrichée pour mieux connaître l’évolution de ces animaux marins.

Les recherches en cours nécessitent impérativement de vastes opérations de fouilles (en cours actuellement). Or une perte de ce patrimoine stopperait les programmes de recherche engagés depuis plusieurs années par des laboratoires du monde entier (Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, Université Paris 6, Université de Bourgogne, University of Vienna, Museo di Storia Naturale di Firenze, Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique…)

 Un outil d’éducation scientifique, un potentiel culturel

Laboratoire naturel de la biodiversité passée, le site de Grignon est aussi un outil d’éducation scientifique. Il permet d’enseigner différentes facettes des sciences de la Vie et de la Terre à un large public tant scolaire qu’universitaire.

En outre depuis 20 ans, il contribue aussi à la formation par la recherche des nouvelles générations de scientifiques. C’est un outil pédagogique permettant de comprendre les grands changements environnementaux dont nous sommes témoins aujourd’hui.

 Ce site appartenant au domaine national, l’Etat devrait garantir dès à présent sa protection et sa valorisation scientifique et pédagogique, dans sa vocation actuelle et quel que soit son devenir proche ou lointain.

Par son passé prestigieux et sa valeur patrimoniale, il existe en ce lieu un fort potentiel de développement culturel pour un large public, à deux pas du château de Versailles. Notre génération a la chance d’avoir hérité d’un tel patrimoine. Il est de notre responsabilité tout mettre en œuvre pour le léguer aux générations futures.

L’avenir de ce bien culturel est aujourd’hui entre les mains de l’Etat.

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*Jean-Pierre Gély est membre du conseil scientifique régional du patrimoine naturel d’Ile-de-France, président de la Commission régionale du patrimoine géologique d’Ile-de-France

**Didier Merle est maître de conférences du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, membre de la Commission régionale du patrimoine géologique d’Ile-de-France

NOUVEL OBS 22 12 2015