L’ÂGE DE LA TERRE

Une exploration à travers le temps et les cultures

 

Introduction

Depuis les premières civilisations humaines, la question de l’origine de la Terre a fasciné les esprits, donnant naissance à une multitude de récits et de mythes à travers le monde. Ces récits, souvent enracinés dans des traditions orales puis transcrits dans des textes sacrés, proposent diverses visions de la création de la Terre. Dans beaucoup de ces mythes, la Terre est perçue, émergeant du chaos primordial, comme le résultat d’une intention divine, une entité vivante et sacrée. Les mythologies, qu’elles soient issues de l’Inde antique, des peuples nordiques, ou des civilisations mésoaméricaines, partagent une vision symbolique et métaphorique de la naissance de notre planète, où le temps et l’âge ne sont pas des préoccupations centrales. Pourquoi les mythologies créationnistes ne se préoccupent-elles pas de la durée de l’existence Terrestre ? Pourtant, calculer un âge pour la Terre n’a de sens que si l’on accepte l’idée d’une naissance, d’un commencement. Or, pour beaucoup des traditions anciennes, la Terre, même si elle émerge du chaos ou est façonnée par des dieux, échappe à la temporalité humaine. Elle est à la fois ancienne et intemporelle, existant au-delà des âges. Dans cette perspective, l’idée même de mesurer son âge devient superflue, sinon impossible.
En contraste, la philosophie grecque antique, notamment à travers la pensée d’Aristote, propose une vision de l’univers comme éternel, sans commencement ni fin, traversant cependant pour les Stoïciens, un cycle perpétuel de destruction et de renaissance. Dans ce contexte d’éternité, calculer un âge pour la Terre n’a aucune pertinence.

Avec l’avènement des religions abrahamiques, une nouvelle perspective émerge : la création divine de la Terre en un temps déterminé. La Genèse, texte fondateur des traditions juive et chrétienne, introduit une chronologie précise à travers la généalogie des patriarches, permettant aux érudits de calculer l’âge de la Terre. Ces calculs, bien que variés, ont longtemps dominé la pensée occidentale, fixant l’âge de la Terre à quelques milliers d’années, un temps court.

Cet article explore ces différentes visions du monde, depuis les mythologies créationnistes, en passant par l’idée d’éternité chez Aristote et les Stoïciens, puis la prédominance de la chronologie biblique jusqu’à l’émergence de la démarche scientifique qui a conduit à partir du XVIIIe siècle à la découverte du temps profond et au XIXe siècle à la datation moderne de la formation de la Terre. Nous verrons comment la perception de l’âge de la Terre a évolué au fil du temps à travers les âges et les cultures.

 

                                SOMMAIRE 

** Les mythologies créationnistes de la Terre ** L’Antiquité Gréco-romaine ** Prédominance du récit créationniste de la Genèse ** L’âge de la Terre : évolution des perspectives ** Moyen Âge : coexistence des visions ** XVIe et XVIIe siècles : la maturation des idées scientifiques ** Le XVIIIe siècle : la découverte du temps profond ** XIXe siècle Exploitation des méthodes énoncées au XVIIIe siècle ** XXe siècle : vers une compréhension moderne de l'âge de la Terre

Chroniques-de-Nuremberg

La création du monde — Chronique de Nuremberg (1493) – Hartmann Schedel 

1 – Les mythologies créationnistes de la Terre

Ces récits, transmis oralement pendant des millénaires illustrent la volonté divine de créer un monde stable et habitable à partir du chaos primordial.

Mythologie mésopotamienne :
  • Dans l’épopée babylonienne « Enuma Elish », la Terre est formée à partir du corps de la déesse Tiamat après sa défaite par le dieu Marduk. Les parties de son corps sont utilisées pour créer le ciel et la Terre établissant un ordre cosmique.
Mythologie égyptienne :
  • Atoum : Le récit de la création le plus célèbre en Égypte ancienne provient d’Héliopolis (ville du soleil). Selon ce mythe, la création de la Terre est un acte du dieu Atoum, qui émerge du chaos primordial, souvent représenté par le Noun, une vaste étendue d’eau informe.
Mythologie hindoue :
  • L’Hymne de la Création (Nasadiya Sukta) du Rig-Veda explore les mystères de la création de l’univers.
    Voici un extrait du Nasadiya Sukta :
    « D’où est née la création, d’où est-elle venue ?Les dieux sont venus après la formation de ce monde.Alors, qui sait d’où il provient ?
    D’où est venue cette création, peut-être qu’il la forma, peut-être qu’il ne l’a pas formée.Celui qui dans les cieux les plus hauts en a la surveillance, Lui seul le sait — ou peut-être ne le sait-il pas. »
    Ce texte exprime une humilité profonde devant le mystère de l’existence, suggérant que même les dieux pourraient ne pas connaître l’origine ultime du cosmos.
Mythologie chinoise :
  • Pan Gu : La mythologie chinoise décrit la formation du ciel et de la Terre par Pan Gu, émergeant d’un œuf contenant le cosmos entier, libérant ainsi l’univers et créant la Terre.
Mythologie japonaise :
  • Izanami et Izanagi : Dans le mythe japonais de la création, les dieux Izanagi et Izanami sont chargés de créer la Terre. En utilisant une lance céleste, ils remuent l’océan primordial, et les gouttes qui en tombent forment les premières îles du Japon. Ces îles deviennent les premières terres solides, et Izanagi et Izanami continuent à créer d’autres terres et divinités. Transcription des 712 ap. J.-C.
Mythologie nordique :
  • Ymir : Un géant primordial, Ymir est tué par Odin, le dieu des dieux, et ses frères, et son corps est utilisé pour créer la Terre. Cette création est à la fois un acte de formation et de destruction. Sa chair devient la terre, son sang forme les océans, ses os deviennent les montagnes, et son crâne le ciel. Cette création est à la fois un acte de formation et de destruction.
  • Ragnarök : Dans la mythologie nordique, le Ragnarök est l’événement apocalyptique où les dieux, les hommes, et l’univers tout entier sont détruits. Après cette destruction, un nouveau monde est censé émerger, plus pur et fertile.
Mythologie aztèque
  • Selon la mythologie aztèque, les dieux Tezcatlipoca et Quetzalcoatl ont créé la Terre après avoir vaincu le monstre primordial Cipactli, une créature qui vivait dans les eaux du chaos. Les dieux ont attiré Cipactli hors des eaux et l’ont démembré pour créer le monde. Les différentes parties du corps de Cipactli ont été transformées pour former la Terre et le ciel. Sa tête est devenue le ciel, tandis que son corps a formé la terre ferme, les montagnes et les vallées.
  • Les Aztèques pensaient aussi que l’histoire du monde est cyclique et croyaient en une succession de « Soleils » ou époques, chacune se terminant par une destruction avant la recréation du monde. Par exemple, ils vivaient sous le Cinquième Soleil, qui était destiné à être définitivement détruit par des tremblements de terre.

 

>> Ces différents récits mythologiques proposent la création de la Terre comme une émergence ordonnée du chaos primordial, façonnée par des actions divines. Ce processus, symbolique ou métaphorique, échappe souvent à la temporalité humaine, se situant à la fois dans l’ancienneté et l’intemporalité et n’accorde pas d’importance à la datation précise de la création de la Terre

Ces exemples illustrent aussi la prédominance du concept de destruction cyclique et de régénération de la Terre. Cette notion de perpétuelle transformation transcende les époques et les cultures. On retrouve cette idée, sous diverses formes, dans de nombreuses traditions philosophiques et mythologiques à travers l’histoire. 

2- L’Antiquité Gréco-romaine

2-1 – Les récits créationnistes de la Terre

‘La Théogonie’ d’Hésiode
  • Hésiode, poète grec (VIIIe siècle av. J.-C.) a composé « La Théogonie », un des textes fondamentaux sur la création du monde dans la mythologie grecque. Au commencement, il y avait le Chaos, un vide primordial informe et illimité. De ce Chaos émerge Gaïa (la Terre, la Terre-Mère) qui est la première entité à prendre forme tangible.
    « Au commencement exista le Chaos, puis la Terre à la large poitrine, demeure toujours sûre de tous les Immortels qui habitent le faite de l’Olympe neigeux. »
    La Théogonie d’Hésiode offre une vision du monde où la Terre est une entité vivante et divine, jouant un rôle central dans la structure de l’univers.
‘De natura rerum’ de Lucrèce
  • Lucrèce (96- 54 avant JC), philosophe romain, propose dans son œuvre, « De natura rerum », suivant la physique atomiste d’Epicure, une vision matérialiste et rationaliste de l’origine de la Terre, s’opposant aux explications religieuses ou mythologiques. La terre s’est formée spontanément, sans intervention divine, par le hasard des rencontres entre les atomes qui évoluent dans le vide. « Rien ne peut être engendré de rien par une intervention divine » c’est avec une telle formulation que Lucrèce a jeté les bases scientifiques, pragmatiques et morales du matérialisme.

« Mais, je le pense, l’ensemble du monde est dans sa fraîche nouveauté, il ne fait guère que de naître ». De natura rerum Livre 5 , 325 – remacle.org

‘Les Métamorphoses’ d’Ovide
  • Ovide (43 av. J.-C- 17 ou 18 ap. J.-C), dans son ouvrage « Les Métamorphoses » décrit un monde qui émerge du chaos grâce à l’intervention divine, où les éléments sont mis en ordre pour permettre la formation de la Terre, des cieux et des êtres vivants.
    « Après que ce dieu, quel qu’il fût, eut ainsi débrouillé et divisé la matière, il arrondit la Terre pour qu’elle fût égale dans toutes ses parties. Il ordonna qu’elle fût entourée par la mer, et la mer fut soumise à l’empire des vents, sans pouvoir franchir ses rivages. » Les Métamorphoses – Livre 1, 1-32 – Traduction G.T. Villenave, Paris, 1806

 

2-2 L’éternité du monde : la vision antique d’Aristote et des Stoïciens 

Aristote
  • Aristote (384-322 av. J.-C.) offre une perspective différente, proposant que l’univers et la Terre ont toujours existé et existeront toujours. Il distingue le monde supra-lunaire, associé aux sphères célestes, éternel et immuable, du monde sublunaire, la terre, sujet au changement mais néanmoins éternel. Pour Aristote, la Terre subit des cycles de génération et de corruption, mais ces cycles se déroulent dans un cadre temporel éternel, sans début ni fin.

 » Ainsi donc le ciel, pris dans sa totalité n’a pas eu de naissance et ne peut périr, malgré ce qu’en disent certains philosophes, mais il est unique et éternel ; sa durée totale n’a pas eu de commencement et n’aura pas de fin ; au contraire il contient et embrasse l’infini du temps «  Aristote – du ciel

« Si la mer abandonne certains endroits et en envahit d’autres, il est évident, que sur toute l’étendue de la Terre, ce ne sont pas toujours les mêmes endroits qui sont mers ou continents, et que tout change avec le temps.» Aristote – les Météorologiques

>> Cette vision cosmologique d’Aristote a profondément et durablement influencé la pensée occidentale, en particulier durant le Moyen Âge, où elle a été intégrée dans la philosophie scolastique et débattue par les théologiens.

Les Stoïciens
  • Les Stoïciens, quant à eux, introduisent une vision du monde où l’univers, bien qu’éternel, traverse un cycle perpétuel de destruction et de renaissance, gouverné par le Logos, une raison divine qui imprègne et ordonne le cosmos. Selon eux, l’univers passe par des phases d’embrasement (ekpyrosis) où tout est détruit, suivies d’une régénération totale. 

 

>> Dans ces visions antiques, qu’elles soient stoïciennes ou aristotéliciennes, la question de l’âge de la Terre ne se pose pas, dans un contexte d’éternité. Si ‘l’ekpyrosis’ n’a pas directement inspiré les premières tentatives de datation de la Terre, elle a néanmoins préparé le terrain à l’idée que la Terre pourrait avoir un début et une fin bien que dans un cadre cyclique éternel.

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Ces deux citations résument la conception du temps cyclique véhiculée par de nombreuses mythologies et les philosophes grecs :

« Les choses roulent sempiternellement dans le même cercle, et partant, qu’il est nécessaire que suivant l’ordre immuable des cycles, ce qui a été, ce qui est, ce qui sera, sera soit toujours de même. » Celse – Discours vrai (2e siècle)

Gouverné par des cycles, l’histoire n’est qu’un éternel recommencement, il ne peut pas y avoir d’Histoire, d’évolution. Mircea Eliade dans son ouvrage « le Mythe de l’éternel retour (1956) » résume ainsi la vision de la Terre dans les mythologies et philosophies anciennes :  » Tout recommence à son début à chaque instant. Le passé n’est que la préfiguration du futur. Aucun évènement n’est irréversible et aucune transformation n’est définitive. Dans un certain sens on peut même dire qu’il ne se produit rien de neuf dans le monde, car tout n’est que répétition des mêmes archétypes primordiaux. » 

La-creation-du-monde-et-Adam-et-Eve-chasses-du-Paradis-Giovanni-di-Paolo-di-Grazia-14451

La création du monde et Adam et Eve chassés du Paradis – Giovanni dal Poggio (1445)

3- Prédominance du récit créationniste de la Genèse

La pensée chrétienne a introduit une rupture nette en proposant, à travers le récit de la création du monde selon la Genèse (VIe siècle av. J.-C.), une histoire linéaire en contraste avec les conceptions cycliques des grandes civilisations archaïques.
Cette version de la création de la Terre a pris une place prédominante dans l’Antiquité et au Moyen Âge pour plusieurs raisons historiques, culturelles et religieuses.

  • La pensée chrétienne a intégré et transformé certains concepts grecs.

La notion de Logos dans le stoïcisme a été adaptée par les premiers théologiens chrétiens pour désigner le Verbe divin.

La création de la matière ex nihilo : Théophile d’Antioche à la fin du 2e siècle justifie la création de matière ex nihilo grâce à la puissance absolue de Dieu :  « La puissance de Dieu se montre précisément quant il part du néant pour faire tout ce qu’il veut ». Théophile d’Antioche – Lettres à Autolycus (fin 2e siècle).

Le rejet des cycles : La pensée chrétienne en s’appuyant sur la Genèse, premier livre de la Bible hébraïque et chrétienne, texte fondateur des religions monothéistes abrahamiques, propose un récit linéaire : la création du monde, avec un point de départ clair, une trajectoire et une signification déterminée, une progression vers un but final prophétique (le jugement dernier ou la fin du monde).

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la Terre. La Terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. … » Genèse

Le monde ne peut être éternel puisqu’il retournera au néant à la fin des temps : « Les impies marcheront en cercle. Non que leur vie doive tourner et retourner dans les cercles de leur invention, mais que telle est la voie où ils s’égarent, c’est à dire leur doctrine mensongère. » Saint Augustin – Cité de Dieu

  • Le judaïsme, avec la Torah (incluant la Genèse), s’est établi comme une religion centrale, renforcée par l’expansion des communautés juives à travers le monde antique.
  • Le christianisme, issu du judaïsme, a rapidement gagné en influence dès le Ier siècle après J.-C. Avec l’adoption du christianisme comme religion officielle par l’Empire romain sous Constantin au IVe siècle, la diffusion de la Bible a été grandement facilitée dans tout l’Empire, et par la suite, en Europe.
  • La Genèse, canonisée comme une partie essentielle des Écritures saintes dans le judaïsme et le christianisme, a conféré à son récit de la création une autorité prédominante, éclipsant d’autres mythologies anciennes. Au Moyen Âge, dans une Europe profondément influencée par le christianisme, la Genèse était la référence principale pour comprendre l’origine de la Terre, avec des interprétations littérales largement répandues parmi les théologiens et les érudits. Les monastères, universités médiévales et autres institutions chrétiennes ont joué un rôle clé dans la diffusion de ces enseignements, tandis que toute alternative était farouchement combattue par l’Église.

 

Dieu Créateur du monde - Guiard des Moulins - Bible historiale - début XVe s. - BnF Paris

Dieu géomètre créateur du monde – Guiard des Moulins – Bible historiale – XVe s. – BnF « Dieu a créé toutes choses selon le Nombre, le Poids, la Mesure » Livre de la sagesse » 

>> Cette nouvelle conception du temps n’a pas seulement influencé la théologie, mais a aussi redéfini la manière dont l’histoire elle-même était perçue. Le monde n’était plus un cycle sans fin de naissance et de destruction, mais une histoire avec un point de départ et une fin. Cette nouvelle conception a profondément influencé la manière dont l’humanité a envisagé l’âge de la Terre pendant des siècles.

Cette rupture avec le passé grec a non seulement transformé la manière dont l’humanité perçoit le temps, mais a également conduit à une nouvelle quête : déterminer l’âge de la Terre en se basant sur les généalogies bibliques des 20 premiers patriarches d’Adam à Abraham. Ces calculs, bien que variés, ont longtemps fixé l’âge de la Terre à quelques milliers d’années, une estimation qui a persisté jusqu’au début du XVIIIe siècle. Aujourd’hui encore, certains groupes religieux, notamment parmi les communautés chrétiennes évangéliques aux États-Unis, adhèrent à une datation de la Terre autour de 6000 ans, comme suggéré par les interprétations littérales de la Genèse.

4- L’âge de la Terre : évolution des perspectives

  • Les différents récits mythologiques n’accordent pas d’importance à la temporalité ou à la datation précise de la création de la Terre. En revanche, les érudits médiévaux et postérieurs ont cherché à fixer un âge pour le monde, et donc pour la Terre, en l’inscrivant dans une histoire linéaire avec un point de départ clair : la création décrite dans la Genèse. Ces tentatives émergent dans un contexte où la pensée occidentale était déjà imprégnée d’idées sur la temporalité et les cycles, influencée par des philosophies comme celle des Stoïciens, qui envisageaient un univers cyclique de destruction et de recréation. Dès les premiers siècles après J.-C., de nombreux théologiens et érudits tentent de déterminer la date de la création de la Terre en se basant sur les généalogies et les événements décrits dans la Bible, additionnant les âges des patriarches mentionnés dans le Pentateuque (chapitres 5 à 11 de la Genèse).
  • L’ancienneté étant un gage d’authenticité par rapport aux autres religions, les apologistes chrétiens revendiquent une date de début pour leur religion. il s’en suit une obsession chronologique pour définir le point de départ de l’histoire de la Terre.

Sources principales :

  • La Septante (LXX) : traduction grecque de la Bible hébraïque (IIIe-IIe siècle av. J.-C.). Selon la tradition, cette traduction aurait été réalisée par 70 savants juifs à Alexandrie en Égypte au IIIe siècle avant J.-C. principalement à l’intention des Juifs de la diaspora qui ne maîtrisaient plus l’hébreu.

 

  • La Vulgate : traduction latine de Jérôme de Stridon (saint, un des Pères de l’Église) (fin IVe siècle). Elle a été commandée par le pape Damase Ier pour fournir une version standardisée des Écritures en latin, qui était la langue vernaculaire de l’époque. La Vulgate a été largement utilisée dans l’Église catholique et a été déclarée authentique par le concile de Trente au XVIe siècle.

Estimations notables :

  • Théophile d’Antioche (115-181) propose 5695 ans avant J.-C. comme date de création de la Terre.
  • Eusèbe de Césarée (265-340) propose 5199 ans avant J.-C. comme date de création de la Terre et rédige la première chronologie universelle.
  • St Augustin (354-430)  dans son ouvrage La cité de Dieu mentionne : « Deux ans donc après le déluge, Sem, âgé de cent ans, engendra Arphaxat; Arphaxat engendra Caïnan à l’âge de cent trente-cinq ans; Caïnan avait cent trente ans quand il engendra Salé; Salé en avait autant lorsqu’il engendra Héber; Héber cent trente-quatre lorsqu’il engendra Ragau; Ragau cent trente-deux quand il engendra Seruch ; Seruch cent trente quand il eut Nachor; Nachor soixante-dix-neuf à la naissance de son fils Tharé; et Tharé, à l’âge de soixante-dix ans, engendra Abram , que Dieu appela depuis Abraham . Ainsi, depuis le déluge jusqu’à Abraham, il y a mille soixante-douze ans, selon les Septante, car on dit qu’il y en a beaucoup moins, selon l’hébreu : ce dont on ne rend aucune raison bien claire. » La cité de Dieu, Livre XVI

Saint Augustin remarque que la Septante donne généralement des âges plus élevés et des périodes plus longues que la Vulgate, ce qui conduit à des résultats différents. La première vieillit le monde de plus de dix siècles. Saint Augustin admet la date d’environ 5000 ans av. J.-C. pour la création de l’Univers, date donnée à partir de la Genèse.

 

>> Les récits de création, qu’ils soient mythologiques ou religieux, ont fourni des réponses à la question de l’origine de la Terre pendant des millénaires, chacun apportant sa propre vision du temps et de la temporalité. La vision linéaire du temps introduite par les religions abrahamiques a conduit à une prédominance du récit biblique de la création dans la pensée occidentale.

Ce n’est qu’avec l’émergence de la science moderne que la perception de l’âge de la Terre a radicalement changé, bouleversant les conceptions traditionnelles et ouvrant la voie à une perspective temporelle beaucoup plus vaste. À partir du XVIIIe siècle, des découvertes géologiques ont révélé un  » temps profond « , indiquant que la Terre est bien plus ancienne que ce que les calculs basés sur la Genèse suggéraient. Au XIXe siècle, la datation de la Terre a été affinée grâce aux progrès en géologie et en physique, menant à l’estimation actuelle de 4,5 milliards d’années.

 

5- Moyen Âge : coexistence des visions

Au Moyen Âge, les philosophes tentaient de concilier la pensée philosophique grecque d’Aristote avec la doctrine chrétienne, tout en développant leurs propres réflexions critiques.

  • Boèce philosophe et homme politique latin (480-524), qui était chrétien, tente de traduire l’héritage philosophique de la culture grecque sous la forme de la pensée et de la langue latine tout en l’interprétant et l’adaptant dans un cadre théologique chrétien, fera remarquer : « Rien ne se fait de rien ; c’est un axiome dont la vérité n’a jamais été contestée, quoique les anciens aient entendu en faire le fondement, non pas du principe créateur, mais de la matière créée, c’est-à-dire de la nature sous toutes ses formes. » Boèce – Consolation de la philosophie – Traduction de Louis Judicis de Mirandol (1861).

Autrement dit : les Anciens appliquaient ce principe « Rien ne se fait de rien » à la matière plutôt qu’à un principe créateur divin. Cette nuance est cruciale dans le contexte de la philosophie médiévale chrétienne, qui cherchait à concilier les idées philosophiques grecques avec la doctrine chrétienne de la création de la Terre ex nihilo par Dieu. 

  • Jean Buridan (1300-1358) illustre cette tension : « Je suppose aussi que le monde a perpétuellement existé, comme Aristote semblait l’entendre (…) bien que ce soit faux au gré de notre foi. » Au XIVe siècle, Buridan et Nicole Oresme remettent en question la cosmologie aristotélicienne. Observant l’érosion et l’orogenèse, ils envisagent des cycles géologiques s’étalant sur des millions d’années, suggérant une interprétation non littérale des textes sacrés.

 

6- XVIe et XVIIe siècles : la maturation des idées scientifiques

6-1 Persistance de la chronométrie anthropomorphique

Malgré l’évolution des idées, plusieurs penseurs continuent de situer la création de la Terre en accord avec les récits bibliques :

  • Johannes Kepler (1596) place la création de la Terre lors du solstice d’été de 3993 av. J.-C.
  • John Lightfoot (1647), prêtre anglais, estime l‘âge de la terre à 3928 ans av. J.-C.
  • James Ussher (1650), archevêque d’Armagh (Église d’Irlande), déduit que le premier jour de la création du monde est le 23 octobre 4004 av. J.-C., à neuf heures du soir précisément (chronologie d’Ussher dans ses Annales Veteris Testamenti, a prima mundi origine deducti). Cette chronologie restera influente jusqu’au début du XXe siècle.

 

  • Isaac Newton (1728) a tenté de concilier les événements bibliques avec des observations astronomiques telle que la précession des équinoxes pour estimer l’âge de la Terre. Ainsi, dans sa « Chronologie des anciens royaumes », il estime la création de la Terre à 3998 ans av. J.-C.

 

>> Cette persistance des calculs basés sur la Bible s’explique par :
· L’autorité des textes sacrés dans la société occidentale
· Le manque de méthodes scientifiques alternatives pour dater la Terre
· La difficulté à concevoir des échelles de temps géologiques

 

6-2 Émergence d’approches plus critiques et scientifiques

Parallèlement aux références bibliques, une approche plus critique et scientifique portée par Nicolas Copernic, René Descartes, Nicolas Stenon, Thomas Burnet, Benoît de Maillet… commence à émerger.

  • Nicolas Copernic

Nicolas Copernic (1473-1543), dans son ouvrage « De revolutionibus orbium cœlestium » (1543), défend le modèle héliocentrique, qui place le Soleil au centre de l’Univers, en opposition au géocentrisme de Ptolémée. Ce changement de paradigme transforme la perception de la Terre en tant que simple planète, marquant le début d’une révolution scientifique qui donnera une nouvelle place aux mathématiques dans l’interprétation des lois de l’univers.
Cette révolution copernicienne a bouleversé la pensée scientifique et toute la pensée occidentale, ouvrant la voie à une nouvelle démarche intellectuelle basée sur l’expérience, le calcul et le raisonnement.

  • René Descartes

René Descartes (1596 -1650) n’a pas proposé de méthode chiffrée pour l’âge de la Terre, mais il a contribué à l’évolution des idées en encourageant la recherche d’explications naturelles fondées sur l’observation et l’expérimentation. Il a participé à la transition d’une vision d’un « dieu artisan » à celle d’un « dieu législateur », créant des lois naturelles régissant l’univers. Descartes est l’un des précurseurs de l’idée que les lois physiques sont universelles, applicables au passé, au présent et au futur.

  • Nicolas Sténon

Niels Stensen (1638-1686), éminent anatomiste et géologue danois, plus connu sous le nom de Nicolas Sténon, a démontré l’origine organique des fossiles et décrit les mécanismes de fossilisation et le processus de sédimentation, ouvrant la voie à la reconstitution du passé de la Terre à partir de l’étude des structures géologiques, telles que les plissements et autres phénomènes tectoniques.

  • Thomas Burnet

Thomas Burnet (1635-1715) , dans son ouvrage ‘Telluris Theoria sacra‘ (1681), propose l’une des premières « théories de la Terre ». Il tente de concilier les récits bibliques avec des explications naturelles, amorçant ainsi une transition vers une compréhension plus scientifique de l’histoire de la Terre.

  • Benoît de Maillet

Benoît de Maillet (1656-1738), un diplomate et naturaliste français, a proposé, dans son ouvrage « Telliamed » (publié à titre posthume en 1748), des idées révolutionnaires sur l’âge de la Terre : il observe les processus d’érosion et de formation des montagnes sur des périodes extrêmement longues, estimant que l’assèchement d’un océan primitif aurait pris des centaines de milliers d’années. Bien que controversées à l’époque, ses idées ont jeté les bases pour des réflexions ultérieures en géologie, influençant notamment Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon.

 

>> Cette période pose les bases des débats qui révolutionneront la géologie et la compréhension de l’histoire de la Terre aux XVIIIe et XIXe siècles.

 

7- Le XVIIIe siècle : la découverte du temps profond

Le XVIIIe siècle marque l’émergence des premiers raisonnements scientifiques qui remettent en question la chronologie courte tirée de la Bible. Les scientifiques cherchent des méthodes pour dater la Terre de manière plus précise, s’appuyant sur la stratification, l’érosion, la teneur en sel des océans, et le refroidissement de la Terre. Ces pistes conduisent à envisager des durées géologiques très longues.

7-1 Contributions des scientifiques

  • Henri Gautier

Henri Gautier (1660-1737), ingénieur et géographe français, estime le temps d’érosion des reliefs à partir de la turbidité des fleuves, affirmant qu’un continent pourrait être entièrement nivelé en 35 000 ans.

  • Edmond Halley

Edmond Halley (1656-1742) astronome anglais  propose d’estimer l’âge de la Terre en mesurant la quantité de sels dans les océans et le débit total des fleuves, suggérant ainsi une Terre beaucoup plus ancienne.

  • Pierre-Bernard Palassou et Jean-Louis Giraud Soulavie

Pierre-Bernard Palassou (1745-1830) et Jean-Louis Giraud Soulavie (1752-1813), géologues français font allusion dans leurs ouvrages respectifs, publiés de 1780 à 1784, « Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées » et « Histoire naturelle de la France méridionale » à la grande ancienneté des formations géologiques et à la lenteur des processus naturels comme l’érosion et la sédimentation. Ces observations les amènent à émettre l’idée que l’âge de la Terre est beaucoup plus ancien que les 6 000 ans généralement admis à leur époque, suggérant une durée bien plus étendue, proche de plusieurs millions d’années, chiffre le plus élevé jamais publié pour l’âge de la Terre. C’est la découverte du temps profond.

7-2 Buffon : vers une approche scientifique

  • Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), propose des estimations basées sur le temps de refroidissement de la Terre qu’il imagine initialement très chaude. Il expérimente le refroidissement de sphères de différents matériaux, extrapolant un âge de 74 000 ans pour la Terre. Buffon consigne cependant un âge de l’ordre de 10 millions d’années dans ses carnets, sans oser le publier.
    Même s’il a fait mine d’accepter le déluge biblique, Buffon a rompu avec cette logique. Il a été un des premiers à proposer des modèles théoriques, à réaliser les expériences correspondantes et effectuer les mesures. A ce titre il peut être considéré comme le père de la datation scientifique.

7-3 James Hutton et l’uniformitarisme

  • James Hutton (1726-1797) souvent considéré comme l’un des fondateurs de la géologie moderne, en raison de ses contributions révolutionnaires à la compréhension de l’âge de la Terre, introduit en 1778 le principe de l’uniformitarisme (souvent résumé par l’expression « le présent est la clé du passé »), selon lequel les processus géologiques actuels ont toujours opéré de la même manière tout au long de l’histoire de la Terre. Hutton suggère que la formation des couches géologiques nécessite des millions d’années, ouvrant ainsi la voie à une compréhension plus profonde et plus longue de l’histoire de la Terre.

 

8 – XIXe siècle Exploitation des méthodes énoncées au XVIIIe siècle

Le XIXe siècle marque une période clé dans l’histoire des sciences géologiques, avec le développement et l’amélioration des méthodes de datation, posant les bases de la datation moderne de la Terre. Plusieurs avancées méthodologiques et conceptuelles importantes permettent de mieux comprendre l’histoire de la planète, remettant en question les chronologies bibliques traditionnelles.

 

8.1 Développement de méthodes géologiques plus rigoureuses

Durant ce siècle, les géologues affinent leurs techniques d’observation et de mesure, ce qui conduit à des estimations de l’âge de la Terre de plus en plus anciennes :

  • Charles Darwin estime que la Terre a au moins 300 millions d’années en étudiant le taux d’érosion des roches dans la vallée de Weald en Angleterre.
  • L’application des vitesses de sédimentation et d’érosion devient une méthode courante pour proposer des âges plus anciens, reflétant une compréhension accrue des processus géologiques.

8.2 Application de méthodes physiques basées sur le refroidissement terrestre

Les scientifiques commencent à appliquer des méthodes physiques pour estimer l’âge de la Terre :

  • William Thomson, mieux connu sous le nom de Lord Kelvin (1824-1907), physicien anglais, inspiré par les travaux de Buffon et en utilisant l’équation de la chaleur de Joseph Fourier, calcule l’âge de la Terre en se basant sur le refroidissement du globe. Il estime l’âge de la Terre entre 20 et 400 millions d’années. Toutefois, cette estimation est contestée par son assistant John Perry, qui introduit le concept de convection dans le manteau terrestre, suggérant un âge beaucoup plus ancien, potentiellement de plusieurs milliards d’années.

8.3 Débat scientifique sur l’âge de la Terre

Les estimations de Lord Kelvin, bien que considérablement plus anciennes que les 6 000 ans de la chronologie biblique, sont en contradiction avec les observations géologiques qui suggèrent un âge encore plus grand. Ce débat stimule de nouvelles recherches et réflexions sur les méthodes de datation :

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    Georges Darwin
    (1845-1912), fils de Charles Darwin, étudie la distance Terre-Lune et estime la date de séparation de la Lune, donnant un âge minimal pour la Terre de 56 millions d’années, confortant l’évaluation de Kelvin.

8.4 Remise en question des chronologies bibliques

Les scientifiques du XIXe siècle commencent à remettre en question les chronologies bibliques, se basant sur des méthodes scientifiques plus rigoureuses :

  • John Joly (, professeur de géologie à Dublin, propose une méthode basée sur la teneur en sodium des océans pour estimer leur âge. Il obtient une fourchette entre 90 et 99 millions d’années, ce qui dépasse largement l’âge de quelques milliers d’années déduit des textes religieux.

 

>>  Ces estimations contribuent à séparer davantage la science de la religion dans la compréhension de l’âge de la Terre.

8.5 Progrès techniques permettant des études plus poussées

Le XIXe siècle voit également des progrès techniques significatifs (développement d’instruments de mesure plus précis, nouvelles techniques d’analyse) qui ont permis d’affiner les estimations.

  • La stratigraphie est systématisée par Charles Lyell, qui propose la règle des recoupements en 1830, selon laquelle un corps rocheux qui en recoupe un autre est nécessairement plus jeune. Cette méthode repose sur le principe de superposition des couches géologiques, énoncé par Nicolas Stenon au XVIIe siècle.
  • La biostratigraphie, qui se développe au début du XIXe siècle, utilise les fossiles pour dater les couches géologiques et crée une similitude entre l’histoire naturelle et l’histoire humaine. Trois approches principales se dégagent : les fossiles pilotes, les assemblages fossilifères et les lignées évolutives.
  • La dendrochronologie, introduite par A. E. Douglass aux États-Unis, sous le nom de « Tree Ring Dating », permet de dater par l’étude des cernes des arbres.
  • Les méthodes paléoclimatiques : L’étude des successions stratigraphiques liées aux cycles climatiques du Quaternaire a commencé à être utilisée pour la datation relative, particulièrement pour la Préhistoire ancienne.

8.6 Contributions de figures majeures

  • Jean-baptiste LamarckLamarck, dans son ouvrage Hydrogéologie (1802), propose que la Terre ait au moins plusieurs milliards d’années, basant son estimation sur les changements océaniques et la révolution des points polaires. Il suggère que les processus géologiques sont extrêmement lents, nécessitant des millions de siècles.
    « Par suite de plusieurs genres d’observations, j’ai parlé du déplacement des points polaires, et j’ai cité le rapprochement réel de de celui qu’on nomme boréal, de l’Europe que nous habitons.
    La plus grande vraisemblance m’indique qu’une révolution complète des points polaires doit suivre entièrement la révolution du déplacement du bassin des mers, et conséquemment s’exécuter avec une lenteur tout aussi considérable, c’est à dire exiger des millions de siècles pour s’opérer…
     …Or, il suffit d’examiner l’état actuel de notre globe, pour se convaincre que les plus hautes montagnes, qui ne sont point sous l’équateur, sont toutes ou presque dans l’hémisphère boréal, et pour reconnaître que ces hautes montagnes sont des restes d’anciennes élévations équatoriales, que les eaux douces, depuis une multitude énorme de siècles, sont en train de tailler et d’abaisser régulièrementHydrogéologie (1802)

 

  • Charles Lyell (1797–1875), un géologue britannique, développe le concept d’uniformitarisme énoncé par James Hutton, postulant que les processus géologiques actuels sont les mêmes que ceux qui ont façonné la Terre dans le passé. Dans ses Principes de géologie publiés entre 1830 et 1833, il soutient que la Terre s’est formée graduellement, opposant ses idées aux théories catastrophistes. Bien que Lyell n’ait pas fourni d’estimation chiffrée de l’âge de la Terre, ses travaux ont fortement influencé Charles Darwin qui a compris que ces hypothèses appuyaient sa théorie de l’évolution en lui accordant une période de temps suffisamment longue pour s’exprimer.et ont ouvert la voie à l’idée que la planète est extrêmement ancienne, probablement de l’ordre de centaines de millions d’années.
    il se rend compte que des couches géologiques récentes peuvent être classifiées en fonction des proportions des fossiles de coquillages marins que l’on y trouve. À partir de cette constatation il propose le nom d’époque Tertiaire, appelée de nos jours Cénozoïque, qu’il divise en trois parties : Éocène, Miocène et Pliocène.

 

>> Ces développements au XIXe siècle ont posé les bases des méthodes de datation modernes, ouvrant la voie aux techniques plus précises du XXe siècle comme la découverte de la radioactivité et le développement de la datation radiométrique. Ils ont également contribué à remettre en question les chronologies bibliques et à stimuler le débat scientifique sur l’âge réel de la Terre.

9- XXe siècle : vers une compréhension moderne de l’âge de la Terre

Les développements scientifiques du XXe siècle marquent un tournant décisif dans l’estimation de l’âge de la Terre par l’importance de la découverte de la radioactivité par Henri Becquerel (1852-1908) en 1896 pour comprendre l’âge de la Terre et l’impact des nouvelles théories physiques sur la perception du temps géologique. Ces découvertes ouvrent la voie à des méthodes de datation beaucoup plus précises, permettant de repousser l’âge de la Terre bien au-delà des estimations précédentes.

  • 9-1 La radioactivité : un chronomètre naturel

L’essentiel de la chaleur de la Terre ne provient pas de sa chaleur initiale (qui se serait perdue en moins de 400 millions d’années) mais est produit pour moitié par la désintégration radioactive d’éléments tels que le potassium, l’uranium et le thorium. Ces éléments se désintègrent à un rythme constant au fil du temps, en produisant de la chaleur et en se transformant en d’autres éléments stables. Cette désintégration radioactive est accompagnée d’une libération de chaleur, ce qui explique pourquoi la Terre n’a pas perdu toute sa chaleur initiale comme le prévoyaient les modèles antérieurs.
La demi-vie des éléments radioactifs, le temps nécessaire pour que la moitié d’une quantité d’élément radioactif se désintègre, sert de chronomètre naturel. Les géologues peuvent mesurer la proportion d’isotopes parents (radioactifs) par rapport aux isotopes fils (stables) pour estimer l’âge des roches, et par extension, de la Terre elle-même.

  • 9-2 Les premières datations radiométriques

En 1905, le physicien britannique Ernest Rutherford (1871-1937) propose d’utiliser la radioactivité pour dater la Terre. Cette suggestion est mise en pratique par Bertram Boltwood (, un chimiste américain, qui applique la méthode uranium-plomb pour dater des roches anciennes. Boltwood établit que certaines roches ont plus d’un milliard d’années, une découverte stupéfiante à l’époque.

Nota sur la méthode uranium-plomb : le rapport entre l’uranium et le plomb est fondamental en géochronologie, notamment pour la datation radiométrique des roches. Voici les points clés de cette relation :

  • Désintégration radioactive : l’uranium-238 se désintègre naturellement en plomb-206 à travers une série de transformations. Ce processus est à la base de la méthode de datation uranium-plomb.
  • Demi-vie : l’uranium-238 a une demi-vie très longue d’environ 4,5 milliards d’années, ce qui le rend idéal pour dater des roches très anciennes.
  • Produit final stable : le plomb-206 est l’isotope stable final de cette chaîne de désintégration. Il s’accumule dans la roche au fil du temps.
  • Ratio isotopique :  En mesurant le ratio entre l’uranium-238 restant et le plomb-206 produit dans un échantillon de roche, on peut calculer son âge.

 

La datation radiométrique a transformé la géologie en permettant de quantifier le « temps profond » nécessaire pour les processus géologiques.

Arthur Holmes (1890-1965), géologue anglais, a publié en 1913 dans son ouvrage « The age of the earth » la première échelle chronostratigraphique réaliste des temps géologiques, estimant l’âge de la terre à 1,3 Mda, puis à 3,35 Mda en 1946 grâce à la datation par la radioactivité.

Ce fut une confirmation des hypothèses avancées par James Hutton et Charles Lyell, et a finalement permis de dater l’âge de la Terre à environ 4,55 milliards d’années.

  • 9-3 L’avancée des techniques de datation

Avec le perfectionnement des méthodes de datation, de nouvelles techniques émergent. La méthode du carbone-14, développée par Willard Libby en 1947, révolutionne la datation des artefacts archéologiques, bien que limitée aux matériaux contenant du carbone datant de moins de 50 000 ans.
Pour les roches plus anciennes, des méthodes telles que la datation potassium-argon, rubidium-strontium, et uranium-thorium-plomb deviennent les étalons. Ces techniques permettent de dater des événements géologiques anciens avec une précision sans précédent, et contribuent à une compréhension plus fine de l’histoire de la Terre et de la vie.

  • 9-4 La validation du modèle par l’astronomie

L’étude de la radioactivité ne s’arrête pas à la Terre. Les météorites, qui sont des restes du matériau originel du système solaire, sont également datées par des méthodes radiométriques. Les âges obtenus, d’environ 4,55 milliards d’années, concordent avec les estimations pour la Terre, confirmant que notre planète s’est formée peu après la naissance du Soleil.

  • 9-5 La radioactivité et l’énergie du Soleil

L’âge de la Terre est également relié à la compréhension de l’énergie solaire. Lord Kelvin, qui avait calculé un âge relativement jeune pour la Terre sur la base de la contraction gravitationnelle du Soleil, est contredit par la découverte de la fusion nucléaire au cœur du Soleil. La fusion de l’hydrogène en hélium, processus libérant une quantité massive d’énergie, explique comment le Soleil a pu briller pendant des milliards d’années, apportant un soutien supplémentaire aux longues échelles de temps géologiques.

  • 9-6 Les révolutions conceptuelles : Einstein et la relativité

La théorie de la relativité restreinte d’Albert Einstein, publiée en 1905, et la relativité générale en 1915, introduisent des concepts qui remettent en cause les notions de temps et d’espace. Bien que ces théories soient principalement appliquées en physique, elles influencent également la manière dont les scientifiques perçoivent le temps géologique, renforçant l’idée que des processus se déroulant sur des échelles de temps gigantesques sont parfaitement cohérents avec les lois de la physique.

 

>> La découverte de la radioactivité et les développements en physique et en géologie au XXe siècle ont permis d’établir que la Terre a environ 4,55 milliards d’années. Cette estimation, fondée sur des preuves solides, a bouleversé la science et la perception du monde naturel, en fournissant une base pour l’étude de l’évolution de la vie et des processus géologiques sur des périodes de temps incompréhensibles pour l’esprit humain.

>> Cette avancée scientifique a mis fin aux spéculations basées sur des chronologies courtes, ancrant la géologie dans une démarche scientifique rigoureuse qui continue de se développer aujourd’hui, à mesure que les techniques de datation s’affinent et que de nouvelles découvertes sont faites.

JD 08/24                                                         

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