Les mosaïques de coquilles mésopotamiennes

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Soldat menant un prisonnier nu – coquille nacrée et schiste – provenance Mari, basse Mésopotamie – env. 2600 BC – Musée d’Alep – © B. Couturaud 2009.

 

1- La Mésopotamie : berceau de la Civilisation

La Mésopotamie, dont le nom signifie étymologiquement « le pays entre les fleuves », est une région historique du Moyen-Orient située entre le Tigre et l’Euphrate. Elle est le berceau de la première sédentarisation humaine, ainsi que des débuts de l’agriculture et de l’élevage. C’est également en Mésopotamie que le premier système d’écriture fut créé entre 3400 et 3200 av. J.-C., évoluant ensuite pour donner naissance à l’écriture cunéiforme.

  • La Période des Dynasties Archaïques

La période sumérienne dite « des Dynasties archaïques » (vers 2900 – 2340 av. J.-C.) marque l’apparition des premières cités-royaumes autonomes, des premiers rois et des premières dynasties historiques. En basse Mésopotamie, « Le pays de Sumer » était alors divisé en petits royaumes, tels Eridu, Lagash, Larsa, Uruk, Ur et Kishet. En haute Mésopotamie, les principaux royaumes sont Ninive, Assur et Mari. Chacune de ces cités dominait un modeste territoire, avec à sa tête un dieu tutélaire et un roi. Le dieu possédait de vastes domaines administrés par le souverain, qui était son représentant sur terre et avait pour devoir de lui bâtir des temples.

Aussi appelée époque Présargonique, cette période précède la création de l’empire d’Akkad, fondé par Sargon d’Akkad, qui conquit et domina la Mésopotamie de la fin du XXIVe au début du XXIIe siècle av. J.-C.

 

 

2- L’Art de la Nacre dans les Cités d’Ur et de Mari

Au cœur de la Mésopotamie antique, les cités puissantes d’Ur et de Mari ont révélé au monde une splendeur artistique unique à travers leurs mosaïques incrustées de coquilles marines. Ces œuvres d’art, témoins d’une civilisation florissante, allient la richesse des matériaux naturels à la finesse du travail artisanal. 

  • L’utilisation des coquilles nacrées ou non

 

La principale utilisation des coquilles marines était la production de perles de toutes formes, de colliers, d’anneaux, d’ustensiles domestiques, de supports de gravures, de sceaux-cylindres et d’incrustations dans des statues ou des mosaïques. Ces objets appartenaient principalement aux élites.

 

De fait, les fouilles ont révélé l’existence d’ateliers de taille de coquilles à l’intérieur des palais. Ce qui induit une activité sous le contrôle d’une élite réservée à son usage.

 

  • Les Sceaux-Cylindres

Les sceaux-cylindres étaient de petits cylindres de pierre ou taillés dans la columelle des mollusques gastéropodes, percés au centre dans le sens de la longueur, et gravés de motifs en creux, géométriques ou figurés, que l’on imprimait sur de l’argile humide en faisant rouler le cylindre. Utilisés au Proche-Orient à partir du IVe millénaire, ils servaient à marquer les scellements de jarres ou de portes, ou à authentifier des tablettes d’argile inscrites.

3- Les Mosaïques Mésopotamiennes

Les mosaïques mésopotamiennes, riches en nacre de coquillages, offrent un aperçu fascinant de l’art et de la culture de cette région ancienne.

Ces mosaïques ornaient des meubles et des coffres ou servaient de caisse de résonance à des instruments de musique. Les thèmes représentés variaient selon le contexte culturel et religieux de l’époque. Certains motifs étaient purement décoratifs, tandis que d’autres évoquaient des scènes de la vie quotidienne (femmes filant la laine, joueur de harpe), des scènes de guerre, des banquets, des rituels religieux ou des mythes et légendes de la civilisation mésopotamienne. Les images de divinités, de souverains, de hauts dignitaires, d’animaux sacrés et de héros mythologiques étaient fréquemment représentées, témoignant de la profondeur de la spiritualité et des croyances des anciens Mésopotamiens.

Parmi les exemples les plus remarquables se trouvent l’étendard d’Ur, conservé au British Museum à Londres, et les mosaïques de Mari, exposées au Louvre à Paris. Ces œuvres, souvent réalisées à partir de plaques de coquillages finement sculptées, témoignent du talent et de la sophistication des artisans mésopotamiens.

  • Ur

Ur, l’une des plus anciennes et des plus importantes villes de la Mésopotamie antique, apparaît comme l’une des principales cités sumériennes du IIIe millénaire av. J.-C., comme l’illustrent les tombes royales et le riche mobilier funéraire qui y fut exhumé.

 

L’une des pièces les plus emblématiques est « l’étendard d’Ur », trouvé dans une tombe royale par l’archéologue britannique Sir Charles Leonard Woolley lors des fouilles qu’il a dirigées entre 1922 et 1934. Cet artefact, également dénommé la bannière d’Ur, date d’environ 2600-2400 av. J.-C. et est constitué de plaques de coquillage, de lapis-lazuli et de calcaire rouge finement sculptées et assemblées pour former des panneaux décoratifs. Conservé au British Museum, il est le seul artefact de ce genre retrouvé en bon état.

Les panneaux de l’étendard d’Ur illustrent des scènes de la vie quotidienne, des rituels religieux et des batailles, offrant un aperçu de la société sumérienne ancienne. Les deux principaux panneaux représentent la Paix et la Guerre.

Le côté Paix montre un banquet dirigé par un souverain assis sur un trône, avec des animaux, des poissons et d’autres denrées apportées en procession. Un musicien joue de la lyre pour les personnages assis qui tiennent un gobelet dans la main droite.

Le côté Guerre montre des chariots tirés par des ânes, des hommes portant des lances et des haches, des prisonniers exécutés ou présentés au souverain qui tient une lance.

D’autres objets remarquables ont été mis au jour par sir Charles Leonard Woolley dans les tombes royales de la cité mésopotamienne d’Ur. Parmi ces découvertes figurent plusieurs plateaux de jeu, dont le célèbre jeu royal d’Ur, ou jeu des vingt carrés. Les règles de ce jeu sont partiellement connues grâce à une tablette datée d’environ 177 av. J.-C., écrite par le scribe Itti-Marduk-Balāṭu.

 

En outre, plusieurs instruments de musique tels que des lyres et des harpes richement décorés de mosaïques de coquilles incrustées dans du lapis-lazuli ont également été découverts.

  • Mari

En Haute Mésopotamie, Mari était une cité puissante et prospère sur les bords de l’Euphrate. L’histoire de cette cité mésopotamienne s’inscrit dans la longue durée, durant près de mille deux cents ans. Fondée dans les premiers temps du IIIe millénaire av. J.-C., la ville a connu plusieurs phases d’épanouissement. La seconde période d’occupation de Mari, de 2600 av. J.-C. environ jusqu’à la destruction de la ville par les armées d’Akkad autour de 2300 av. J.-C., est particulièrement riche en art.

André Parrot, archéologue français et premier directeur du Musée du Louvre (1968-1972), est l’inventeur du site de Mari à partir de 1933 et en a dirigé les fouilles jusqu’en 1974. Une des pièces les plus emblématiques découvertes est la statue votive de l’intendant Ebih-Il, haut dignitaire du royaume de Mari, conservée au Louvre. Cette statue en calcaire, datant d’environ 2400 av. J.-C., est rehaussée par l’utilisation de lapis-lazuli d’Afghanistan pour l’iris, de coquille du golfe Persique pour la sclère (le blanc) des yeux et de bitume pour souligner le bord des paupières, conférant à la figure une expression saisissante et réaliste. Les détails minutieux de la sculpture, associés à l’éclat naturel de la nacre, en font un chef-d’œuvre de l’art mésopotamien.

 

Le musée du Louvre abrite une collection importante d’éléments de mosaïques provenant des fouilles de Mari, dirigées par André Parrot. Ces mosaïques, composées de petites pièces de coquilles nacrées ou non, décoraient des coffrets précieux ou les caisses de résonance des instruments de musique. Ces minces plaquettes étaient incrustées sur des panneaux de bois maintenus par du bitume, sur un fond de couleur sombre fait de plaquettes de schiste, de calcaire rouge ou de lapis-lazuli, à l’image de l’étendard d’Ur.

Produits entre 2550 et 2300 av. J.-C., ces panneaux ont été mis à jour dans deux bâtiments : le temple d’Ishtar et le palais royal. Lors du sac de la ville par les armées akkadiennes de Sargon, les panneaux ont été détruits. Aucun d’eux n’a été retrouvé intégralement préservé, seuls des fragments d’incrustations ont été mis au jour. On ne connaît donc pas la disposition exacte des nombreux éléments d’incrustations sur les panneaux de Mari.

André Parrot a proposé une reconstitution d’un panneau, que certains qualifient « d’étendard de Mari »,  à partir de plusieurs éléments retrouvés isolément :

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D’autres plaquettes en coquille sont visibles au Musée du Louvre ou dans d’autres musées tels ceux de Damas ou Alep :  

 

4- Les Coquillages Utilisés

Pour les coquilles non nacrées, on peut penser aux espèces suivantes de mollusques gastéropodes :

  • Chicoreus ramosus (Linnaeus, 1754) : Muricidées
  • Fasciolaria trapezium (Linnaeus, 1758) : Fasciolariidae
  • Lambis truncata sebae (Kiener, 1843) : Strombidae

Ces coquillages proviennent du golfe d’Oman, des côtes d’Arabie orientale et des côtes septentrionales de l’océan Indien.

Pour les coquilles nacrées, il s’agit principalement de mollusques bivalves de l’ordre des Ostreida, famille Pteriidae :

  • Pinctada margaritifera (Linnaeus, 1758)
  • Pinctada radiata (Leach, 1814)
  • Isognomon isognomon (Lightfoot, 1786)
  • Isognomon legumen (Gmelin, 1791)

Et un gastéropode :

  • Turbinella pyrum (Linnaeus, 1758) : Famille des Turbinellidae

Ce dernier, en provenance de la zone côtière de l’Indus, a une coquille extrêmement lourde et épaisse, en spirale autour d’une columelle massive. Les columelles de ces coquilles ont servi à confectionner des sceaux-cylindres.

Dans l’iconographie de Mari, les coquilles nacrées sont largement majoritaires

JD 05/24

Bibliographie

Barbara COUTURAUD Histoire et Archéologie des Mondes Anciens Thèse de Doctorat 2013 Mise en scène du pouvoir au Proche-Orient au IIIe millénaire

Le blog de Maryse Marsailly https://blogostelle.com/

T.R. GENSHEIMER – THE ROLE OF SHELL IN MESOPOTAMIA 1984

 

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