Une fascination à travers les siècles, de Pline à Roger Caillois
"Il y a tel de ses joyaux qui passe pour inestimable et sans tarif dans les richesses humaines ; de sorte qu'aux yeux du grand nombre il suffit de je ne sais quelle pierre pour avoir la contemplation suprême et absolue de la nature." Pline l'Ancien
J'imagine une quête ambitieuse qui, loin de se contenter d'objets de rencontre, s'efforcerait de réunir les plus remarquables manifestations des forces élémentaires, anonymes, irresponsables qui, enchevêtrées, composent la nature. Roger Caillois 'Pierres'
‘Mer immense où s’enfuient des galères’ – Agate ‘Le Vaisseau’- Mnhn Dation R.Caillois © C. Hy
Depuis des millénaires, certaines pierres fascinent l’humanité par leur capacité à évoquer des mondes miniatures. Ce document n’ambitionne pas de traiter de minéralogie conventionnelle ; il ne s’agit pas d’identifier, de décrire les structures cristallines de ces minéraux, ni d’explorer les vertus et pouvoirs qui leur sont attribués depuis la haute antiquité. A travers la fascination esthétique que suscite leur aspect, il évoque une minéralogie plus ‘onirique’ ; dans leurs veines et marbrures où l’imagination humaine peut se déployer, l’œil peut y discerner des motifs naturels évoquant des scènes figuratives tels que paysages, figures mythologiques ou religieuses, figures humaines ou scènes poétiques.
La paréidolie est ce processus qui survient sous l’effet de stimuli visuels, et qui porte à reconnaître une forme familière dans un paysage, un nuage…ou dans le motif présenté par une coupe de minéral. La paréidolie est une expression de cette tendance du cerveau à créer du sens en assimilant des formes aléatoires à des formes qu’il a déjà référencées. Les paréidolies sont subjectives : chacun peut voir une chose différente.
« Tout se passe comme si l’esprit était ainsi fait qu’il ne peut ne s’empêcher de chercher une image reconnaissable dans ce qui ne saurait rien représenter » Roger Caillois
Ces pierres, principalement des agates, jaspes, septarias, onyx ou encore des paésines, sont des « œuvres de la nature », « des jeux de la nature » dans lesquels chacun peut lire un monde en miniature.
La mystérieuse propriété de la pierre qui lui permet de former ces images est alors appelée « puissance minérale formative des pierres » ou gamahés (vis mineralis lapidum formativa) par Albert le Grand, « esprit plastique architectonique » (spiritus plasticus architectonicus) par Athanase Kircher, « puissance séminale lithogène » (vis seminalis lapidifica) par Gassendi.
De Pline l’Ancien à Roger Caillois, en passant par les cabinets de curiosités de la Renaissance et les ‘pierres de rêve’ des lettrés chinois, nous explorerons comment ces ‘pierres paysages’ ou ‘pierres à image’ ou ‘pierres figurées’ ont captivé l’œil et l’esprit des observateurs à travers les âges. »
Pline l’Ancien
Dans son ‘Histoire naturelle’, Pline témoigne de l’usage et l’appréciation des marbres et autres pierres dans l’Antiquité. Au-delà d’un simple catalogue de matériaux de construction, il révèle une fascination pour les aspects esthétiques et symboliques des pierres, en particulier celles présentant des motifs naturels évocateurs. Il détaille non seulement l’utilisation des marbres dans la statuaire, dans l’architecture des temples, des palais et des maisons individuelles, mais s’attarde aussi sur leurs qualités visuelles uniques. Dans leurs veines et marbrures, l’œil peut discerner des paysages, des figures mythologiques, ou des scènes poétiques. Il évoque notamment les motifs naturels en mentionnant des cas remarquables où la nature semble avoir créé des images dans la pierre, comme la figure de Silène apparue dans un bloc de marbre de Paros ou celle d’Apollon sur une agate.
« Tous ces artistes n’ont employé que le marbre blanc de Paros, nommé d’abord lychnites, parce que, dit Varron, on le taillait dans les carrières à la lumière des lampes. Depuis on en a découvert beaucoup d’autres plus blancs, et récemment encore dans les carrières de Luna (Ndlr : Carrare). On rapporte de celui du Paros un fait merveilleux : dans un bloc qu’on fendit avec des coins, apparut une figure de Silène. » De natura rerum livre 36
« …Après cette bague, la renommée parle de celle d’un autre roi, de ce Pyrrhus qui fit la guerre aux Romains. C’était, dit-on, une agate sur laquelle on voyait les neuf Muses et Apollon tenant sa lyre, non par un travail de l’art, mais par un produit spontané de la nature ; et les veines étaient disposées de telle façon que chaque Muse avait même ses attributs particuliers. » De natura rerum
Pline décrit une pierre célèbre comme présentant une image naturelle d’Apollon et des neuf Muses, formée par les veines de la pierre elle-même, sans intervention artistique humaine. Cette description est considérée comme l’une des premières mentions écrites de ce que nous appelons aujourd’hui les « pierres à images » ou « pierres paysages ».
« Les premiers marbres tachetés furent, je pense, trouvés dans les carrières de Chio; les habitants les employèrent aux murs de leur ville, et ils s’attirèrent une plaisanterie de Cicéron ! Ils montraient à tout le monde ces murailles comme magnifiques : « J’admirerais bien plus, dit-il, que vous les eussiez faites en pierre de Tibur*» Ce qu’il y a de certain, c’est que la peinture n’aurait pas été aussi honorée, ou plutôt ne l’aurait pas été du tout, si les marbres variés eussent été en vogue » . Livre 36
*Pierre de Tibur : travertin depuis longtemps extrait de carrières proches de la ville de Tivoli, alors appelée Tibur en latin, située à une trentaine de kilomètres de Rome.
La richesse du marbre ainsi que la beauté de ses motifs et couleurs, différents selon la carrière d’extraction, inspire également, dans l’Antiquité romaine, la réalisation de trompe- l’œil par imitation sur les murs intérieurs des habitations.
« Les agates qu’on rencontre dans l’Inde ont la même vertu, et bien d’autres qui sont merveilleuses. Elles offrent les images de fleuves, de bois, de bêtes de somme, de chariots, de harnois et d’ornements pour les chevaux. » Livre 37 §54
« On recherche le plus, les albâtres couleur de miel, qui ont des taches disposées en tourbillons. »
Cette approche de Pline, mêlant observation scientifique et sensibilité esthétique, pose les fondements d’une tradition d’appréciation de ces minéraux qui perdurera jusqu’à la Renaissance où l’attrait pour les ‘paysages’ naturels contenus dans ces ‘pierres figurées’ s’épanouira dans les cabinets de curiosités.
En immortalisant ces phénomènes, Pline a contribué à inscrire les pierres figurées dans l’histoire de la contemplation esthétique, un héritage que l’on retrouve jusqu’à nos jours ; on le verra avec Roger Caillois.
A noter que ce qui définit un marbre dans l’Antiquité est essentiellement lié à son aspect visuel, plus qu’à ses propriétés minéralogiques. Ainsi, sont assimilés au marbre les granites, albâtres et porphyres, ainsi que le travertin. Le terme agate désigne la plupart du tems le marbre.
Caius Julius Solinus
Caius Julius Solinus, dit Solin en français, est un grammairien qui a vécu soit au IIIᵉ siècle, soit au IVᵉ. Il est l’auteur d’un ouvrage intitulé De mirabilibus mundi (Les Merveilles du monde), sorte de compilation d’Histoire Naturelle inspirée de Pline qui assure la transmission de la fascination pour les pierres dans l’Antiquité tardive.
Albrecht Dürer (1471-1528)
Une anecdote intéressante, bien que non vérifiée, circule à propos d’Albrecht Dürer, le célèbre artiste allemand de la Renaissance, qui aurait effectivement acheté une pierre remarquable, une agate extraite du gîte d’Oberstein en Allemagne, lors d’un de ses voyages en Rhénanie en 1514.
Cette version de l’anecdote a notamment été relatée par Roger Caillois dans Trois leçons des ténèbres. Serait-ce une simple légende ? Troublant hasard, Dürer a néanmoins peint, au revers de son tableau Le Christ, homme de douleurs, un motif coloré évoquant des veines d’agate, comme un clin d’œil énigmatique à cette pierre figurée.
Cette anecdote, bien qu’attrayante, ne trouve aucune confirmation dans les écrits de Dürer ni dans ceux de ses biographes contemporains. Elle est souvent citée comme un exemple précoce de l’intérêt des artistes de la Renaissance pour les « jeux de la nature » et les curiosités naturelles. Elle illustre également comment ces objets étaient valorisés et collectionnés, préfigurant l’engouement pour les cabinets de curiosités qui se développera aux XVIe et XVIIe siècles. L’épisode de Dürer et de sa pierre à image s’inscrit dans une longue tradition d’intérêt pour ces phénomènes naturels, qui remonte à l’Antiquité avec Pline l’Ancien et se poursuit jusqu’aux études plus systématiques des siècles suivants.
Agricola (1494-1555)
Georgius Agricola (1494-1555), de son vrai nom Georg Bauer, médecin et érudit allemand de la Renaissance, est souvent considéré comme le « père de la minéralogie ». Dans son ouvrage majeur, De Natura Fossilium (1546), il adopte une approche nouvelle plus rationnelle et minéralogique des pierres et scientifique pour classer et décrire les minéraux, tout en conservant une fascination pour leurs motifs naturels. Ce texte marque un tournant dans la manière d’aborder les pierres et les fossiles, en introduisant une méthode basée sur l’observation et la description systématique plutôt que sur les associations symboliques ou magiques qui dominaient auparavant.
Dans De Natura Fossilium, Agricola s’efforce de classer les pierres selon leur origine, leur structure, leur forme et leur composition. Bien que l’objectif soit d’établir une classification rationnelle, son observation rigoureuse met en évidence les caractéristiques visuelles des pierres, incluant les marbrures et ou les veines qui évoquent souvent des scènes ou des figures, contribuant indirectement à la fascination pour ces effets naturels. Il décrit notamment les dendrites (motifs arborescents) dans certaines pierres et les inclusions ressemblant à des paysages ou des figures dans les agates.
Frondaisons délicates, « Les arborescences du manganèse étalent leurs dentelles de feuillage, leurs chevelures de neurones. » Roger Caillois
« Manifestation par excellence de ce que j’ai cru pouvoir nommer fantastique naturel. » Roger Caillois
L’approche d’Agricola a influencé les générations suivantes de minéralogistes, combinant observation scientifique et appréciation esthétique des pierres, contribuant ainsi, indirectement, à la fascination pour ces effets naturels.
Agricola explique que ces motifs sont dus aux processus de formation naturelle, à des ‘jeux de la nature’ plutôt qu’à une intervention humaine. Ces « jeux de la nature » valables aussi pour les fossiles ont retardé leur reconnaissance comme étant des restes d’organismes vivants : la nature étant capable de reproduire figures humaines, paysages, fougères dans des pierres, pouvait aussi avoir « fabriqué » des représentations de mollusques, de poissons, d’oursins, d’ammonites …Il faudra attendre le milieu du XVIIIe siècle pour que soient entièrement distingués fossiles et pierres à images.
Ulysse Aldrovandi (1522-1607)
Ulysse Aldrovandi (1522-1607), célèbre naturaliste italien du XVIe siècle, aborde les pierres figurées et les motifs naturels dans son ouvrage posthume Musaeum metallicum, publié en 1648 par R. Ambrosini. Connu pour son approche encyclopédique de la nature, en adoptant une perspective à la fois scientifique et esthétique, il a documenté avec précision diverses pierres et minéraux qui semblaient révéler des motifs anthropomorphes ou zoomorphes, comme des silhouettes de plantes, d’animaux, ou même des scènes naturelles ou des sujets religieux. Notamment les septarias qu’il décrivait comme « des calcaires naturellement contractés selon des schémas mathématiques. »
Aldrovandi a recueilli et classifié ces « marbres figuratifs » et pierres dites « miraculeuses », les considérant comme des curiosités de la nature ou des preuves de son pouvoir créatif et y voyant des preuves de la beauté et de l’ordre naturel. Cette approche reflète l’intérêt de la Renaissance pour les curiosités naturelles et les « jeux de la nature ».
Athanase Kircher (1602-1680)
Athanase Kircher utilise en 1664 sa documentation dans son Mundus subterraneus, quo universae denique naturae divitiae (Le monde souterrain, où se trouve toutes les richesses de la nature) : « les dessins et les méandres de l’albâtre et de l’agate, des jaspes et des marbres sont interprétés comme des oiseaux, des tortues ou des écrevisses, des villes, des rivières et des forêts, des crucifix, des évêques, des têtes de mort, des Infidèles à turbans ».
Les naturalistes du Moyen-âge et de la Renaissance ont utilisé des concepts de philosophie naturelle teintées d’alchimie pour définir cette mystérieuse force intérieure, quasi-vivante, qui façonnerait la matière inerte, donnant forme aux minéraux, aux cristaux et à leurs motifs : Albert le Grand (1200-
En 1733, le naturaliste allemand Franz Brückman décrit les pierres paésines dans son ouvrage « De marmore variorum locorum in specie Florentino » comme des ruines faites de substances minérales fluides et diversement colorées, autrefois liquides et converties à la solidité du marbre par l‘action d’un esprit coagulant et gorgonique. »
Pablo Neruda (1904-1973)
Pablo Neruda a consacré des vers à des objets naturels et à des pierres aux motifs évocateurs dans plusieurs de ses recueils, particulièrement dans Las Piedras del Cielo (Les Pierres du ciel), où il célèbre la beauté mystérieuse des pierres. pour celui qui les contemple, elles offrent l’image fascinante de « leurs mystérieuse matière ultra-terrestre, indépendante et éternelle.
« J’ai cherché une goutte d’eau, de miel, de sang : tout en eau s’est transmué, en pierre pure : larme ou pluie, l’eau circule toujours dans la pierre : sang ou miel ont pris le chemin de l’agate. » Les Pierres du ciel – Pablo Neruda
Roger Caillois (1913-1978)
Roger Caillois et la redécouverte poétique des pierres-paysages au XXe siècle
«Je parle de pierres qui ont toujours couché dehors ou qui dorment dans leur gîte et la nuit des filons…Je parle des pierres que rien n’altéra jamais que la violence des sévices tectoniques et la lente usure qui commença avec le temps, avec elles (…).Je parle des pierres : algèbre, vertige et ordre ; des pierres, hymnes et quinconces ; des pierres, dards et corolles, orée du songe, ferment et image ; de telle pierre pan de chevelure opaque et raide comme mèche de noyée (…) ; de telles pierres, papier défroissé, incombustible et saupoudré d’étincelles incertaines (…).
Je parle des pierres plus âgées que la vie et qui demeurent après elle sur les planètes refroidies quand elle a eu la fortune d’y éclore. Je parle de pierres qui n’ont même pas besoin d’attendre la mort et qui n’ont rien d’autre à faire que de laisser glisser sur elles le sable, la pluie ou les vagues, la tempête, le temps… Je parle des pierres nues, fascination et gloire, où se dissimule et en même temps se livre un mystère plus lent, plus vaste et plus grave que le destin d’une espèce passagère. » Pierres
Roger Caillois, dans ses ouvrages « Pierres » (1966) et « L’Écriture des pierres » (1970), transcrit son long dialogue avec la nature, où la beauté naturelle est à la fois admirée esthétiquement et analysée philosophiquement. Il revisite la fascination universelle pour les pierres-paysages en leur conférant une dimension poétique. Les pierres sont perçues comme des formes d’art naturel, où la nature devient créatrice.
Caillois voit dans les veines et motifs des pierres un langage, une sorte de récit secret de la Terre.
La vision de Caillois rejoint celle des poètes surréalistes ou des artistes modernes qui sont fascinés par les formes naturelles et abstraites. André Breton était lui même grand amateur de ces pierres figurées.
« La recherche des pierres disposant de ce singulier pouvoir allusif, pourvu qu’elle soit véritablement passionnée, détermine le rapide passage de ceux qui s’y adonnent à un état second, dont la caractéristique essentielle est l’extra-lucidité. » André Breton
« Le fond de la pierre est bistre pâle. Le profil d’un vaste château s’y découpe en brun luisant… De profonds chemins de ronde séparent les enceintes successives. Au centre une tour à plusieurs étages domine l’ensemble des constructions. A droite, dans le ciel, des oiseaux tourbillonnent ; à gauche il n’y en a qu’un, mais immense ; les ailes déployées et le cou tendu vers le bas, il fond sur les terrasses inégales où s’agite un étrange peuple. Car le château est habité… » Roger Caillois « l’écriture des pierres »
la Paésine
Les paesines
La paésine est une variété de calcaire marneux de l’Éocène (début du Tertiaire). Sa toile de fond naît de la compression intense et du fractionnement des couches sédimentaires de calcaire et d’argile apparues dans les fonds océaniques de l’Éocène. Les motifs graphiques et colorés qui distinguent cette pierre-paysage sont quant à eux le résultat d’infiltrations d’une eau riche en sels minéraux (hydroxyde de fer et de manganèse) puis à la cicatrisation des failles par la cristallisation de calcite.
Cette roche, particulièrement représentative des pierres à image que l’on trouve dans le nord de l’Italie autour de Florence et dans les Apennins, est aussi appelée marbre ou calcaire ruiniforme, pierre-paysage, pierre figurée, pierre-aux-masures ou marbre de Florence. Coupées et polies, les plaques successives présentent des dessins différents sur chaque tranche qui « forment des tableaux de paysages, mais qui représentent des ruines. On y voit, à moitié écroulés et environnés de décombres des châteaux, des remparts, des tours, des clochers, des obélisques, mais aussi des rivages, des falaises et des grottes. »
Ces ruines sont d’une couleur rembrunie comme un dessin au bistre ; le fond ou le ciel est d’une teinte plus claire, d’un gris jaunâtre ou ardoisé sur lequel les ruines se détachent d’autant mieux qu’elles sont surmontées d’une teinte blanche qui les fait paraître éclairées par un soleil couchant. Cette teinte blanche forme quelquefois de longues pointes, qui prennent à leur sommet une teinte rougeâtre, ce qui représente fort bien les flammes d’un incendie. « Louis Patrin – Histoire naturelle des minéraux (1801).
L’usage de ce calcaire comme pierre d’ornementation remonte sans doute à l’Antiquité, mais le terme Paséïne émerge lors de la Renaissance. C’est au XVIᵉ siècle que les paésines sont utilisées pour la décoration de meubles et de cabinets. En effet, les « pietra paesina » suscitent l’admiration des amateurs de cabinets de curiosités naturelles à la Renaissance. Les Médicis en décoraient leurs cabinets italiens, les intégraient en tant que tels dans des armoires ou de petites boîtes ou en faisaient des inclusions dans les marqueteries de pierres dures.
Les paésines étaient parfois peintes, leur décor fantastique servant de fond à ces tableaux de pierre aux XVIIème et XVIIIème siècles, très prisés des collectionneurs et des amateurs de cabinets de curiosités.
Aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, les marbres de Florence font l’objet d’un important commerce. Rodolphe II de Habsbourg (1552-1612) possède dans sa résidence de Prague une « armoire à merveilles » ornée de ces pierres. En 1617 Philipp Hainhofer, marchand d’Augsbourg spécialisé dans ce commerce, en fournit à Philippe II, duc de Poméranie, en 1632 à Gustave-Adolphe roi de Suède.
Des petits tableaux de paésines de Toscane ornent encore un pan de mur de la maison de Goethe (1749-1832), témoins de sa passion pour la minéralogie.
En 1777 paraît en plusieurs volumes à Nuremberg, traduit de l‘allemand, le Recueil des Monuments des catastrophes que le globe terrestre a essuyées, contenant des pétrifications et d‘autres pierres curieuses dessinées, gravées et enluminées d‘après les originaux, commencé par Georges Wolfgang Knorr, continué par Jean Ernest Emmanuel Walch. L‘ouvrage qui prend fermement position contre la doctrine des fantaisies de la nature contient une description des pierres–aux–masures ou marbres-ruines. Cette espèce de pierre « représente les masures des villes, des tours, des pyramides tombées en ruine, des murailles et des maisons écroulées »,
Plus proches de nous, les Paesine ont été à nouveau chantées par les surréalistes avec André Breton et Roger Caillois.
Le jaspe
Le jaspe est une roche sédimentaire, variété de calcédoine opaque, appartenant au groupe des silicates. Sa particularité essentielle, outre son abondance et sa dureté, est son graphisme et sa large palette de coloris naturels.
« Les jaspes de l’Oregon présentent une démence graphique où n’atteint aucun autre minéral (…) une sorte de lithographie en couleurs, houleuse et aussi pleine à craquer qu’un tableau de schizophrène. « Roger Caillois
« Un univers de volutes, de ramages, de plèvres ; d’où émergent des visages écorchés, l’éventail de muscles à vif dans les cavités de l’os. Des seins tranchés net, les framboises des mamelons enflés sur l’aréole dérivant à l’écart avec leur support mutilé …….
L’agate, l’onyx
« Sans doute n’est-il pas de figures complètement muettes. Ici un filet blanc très mince, tracé par la pointe du stylet le plus acéré suit le contour d’un rognon d’onyx parfaitement circulaire et qui enferme, au cœur de la nuit de son miroir de jais, un givre imprégné d’obscur formé de cristaux plus étincelants encore que ses ténèbres » Roger Caillois
« Une dernière agate, d’un dessin complexe et insolite m’entraîne plus avant sur la pente de la rêverie. La partie translucide de l’échantillon est enfermée dans une écorce opaque qui présente la rugosité et les couleurs beige pâle, noisette et brou de noix du bois silicifié » Roger Caillois
« Ainsi cette fente presque close que peignent deux lèvres minces d’une fade blancheur d’orgeat au milieu d’intenses ténèbres, comme la pale boutonnière réticente d’un sexe exsangue, celui qui est dit s’être entrouvert au ventre de l’Abîme, à l’origine du temps ». Roger Caillois
« J’ai beau m’assurer n’avoir devant les yeux que des traînées irrégulières dont les ondes azurées traversent la stupeur de l’agate comme enregistrement de sismographe ou de baromètre affolé : elles en éclaboussent très haut, presque jusqu’à l’écorce du nodule, la transparence d’hydromel ou d’urine (…). Malgré moi j’y distingue des pans de clarté polaire qui font tomber la lumière d’une avare réverbération sur des lichens d’encre, sur une végétation poussive, chétive, essoufflé par les rafales et calcinés par le gel. » Roger Caillois
« Le cercle affirme sa gloire, quand il se proclame vaste et isolé comme le soleil dans le vide du ciel, sur champ uni d’agate obscure ou de cristal incandescent. Alors c’est merveille. » Roger Caillois
Les septarias
Les septarias sont des nodules siliceux, ronds ou de formes allongées, constellés d’infiltrations de calcite.
les pierres de rêves
En Asie, ce sont les pierres de rêves chinoises ou les suiseki au Japon
### **VII. Conclusion**
– Retour sur la longue histoire des pierres-paysages : de Pline à Caillois, un fil continu d’admiration pour la capacité de la nature à produire des images figuratives sans l’intervention de l’homme.
– L’évolution des perceptions des pierres-paysages à travers les époques et les cultures (Rome antique, Chine, Renaissance italienne, Europe moderne).
– La beauté naturelle devient un support d’interprétation esthétique et philosophique, transcendant les frontières géographiques et temporelles.