Coquilles aérophones

 

Triton -Jacob de Gheyn (1596-1641) - Rijksmuseum

Triton soufflant la conque – Jacob de Gheyn (1596-1641) – Rijksmuseum

Lors de son cheminement entre Le Caire et Gaza à travers les déserts du Sinaï et du Negev, Pierre Loti évoque son arrivée sur les bords du golfe d’Aqaba :

« Maintenant, nous marchons sur des coquilles, des coquilles comme jamais nous n’avions vu. Pendant des kilomètres, ce sont de grands bénitiers d’église, rangés par zones ou entassés au gré du flot rouleur ; ensuite, d’énormes strombes leur succèdent, des strombes qui ressemblent à de larges mains ouvertes, d’un rose de porcelaine ; puis viennent des jonchées ou des monceaux de turritelles géantes, et la plage, alors toute de nacre blanche, miroite magnifiquement sous le soleil. Prodigieux amas de vies silencieuses et lentes, qui ont été rejetées là après avoir travaillé des siècles à sécréter l’inutilité de ces formes et de ces couleurs…On trouve aussi les cônes, les porcelaines, les rochers, les harpes, toutes les variétés les plus délicatement peintes et les plus bizarrement contournées, la plupart servant de logis à des bernard-l’ermite et courant à toutes petites jambes quand on veut les toucher. Et çà et là, de gros blocs de corail font des taches rouges parmi ces étalages multicolores ou nacrés. » Pierre Loti, Le désert

Les coquilles de divers mollusques gastéropodes qui depuis la lointaine Préhistoire ont été utilisés comme aérophones, instruments de musique à vent, pour émettre des sons et communiquer sont dénommées ‘conques’. Ce vocable regroupe en fait essentiellement 4 espèces de mollusques gastéropodes appartenant à 2 familles :

  • Les Strombidae : tel Aliger gigas (Linnaeus, 1758) dit  ‘strombe géant
  • Les Tritonidae ou Charoniidae : tels Charonia tritonis (Linnaeus, 1758) dit ‘triton géant’, Charonia lampas (Linnaeus, 1758) dit ‘triton à bosses‘, charonia tritonis variegata (Lamarck, 1816) dit ‘triton dentelé‘ 

Ci-dessous à gauche : Aliger gigas (Linnaeus, 1758) dit ‘strombe géant’. A droite : Charonia tritonis (Linnaeus, 1758) dit ‘triton géant’.

 

 

 

 

 

 

 

1- Aliger gigas  (Linnaeus, 1758) ou strombe géant

On doit la première représentation de cette ‘conque’ (sous la dénomination Murex) à Filippo Buonanni (1638-1723) dans son ouvrage « Recreatio mentis et oculi in observatione animalium testaceorum… italico sermone primum proposita » édité en 1684 planche 321 page 159. Filippo Buonanni fut le premier auteur à rédiger des ouvrages consacrés uniquement aux coquillages.

La description en est très sommaire :A.-gigas-Ricreatione-dell-occhio-e-della-mente...-1684-Filippo-Bonanni-1638-1723.-

 

Autre représentation et description sous la dénomination Murex maximus par le médecin et malacologue italien Niccolò Gualtieri dans « Index Testarum Conchyliorum, quae adservantur in Museo Nicolai Gualtieri » publié en 1742 – table 34 :

Coquille-adulte-vue-dorsale-Gualtieri-Index-Testarum-Conchyliorum1742-3

 

Carl Linnaeus (Linnée) naturaliste et taxonomiste suédois a décrit et nommé cette coquille Strombus gigas (famille des Strombidae) en 1758 d’après l’exemplaire de Filippo Buonanni, que Linnaeus a semble t’il possédé dans sa collection. Cet exemplaire est devenu le néotype de l’espèce. l’ensemble des collections de Linné est détenu dans The Linnaean Society à Londres, mais le néotype de Strombus gigas, qui n’y figure pas, a été retrouvé à l’Université d’Uppsala (Suède).

La taxonomie des Strombidae a été largement révisée depuis Linnée et notamment depuis les années 2000. De Murex à Strombus gigas en passant par Eustrombus gigas puis Lobatus gigas il est maintenant recombiné sous le nom de Aliger gigas (Linnaeus, 1758). 

Aliger gigas  (Linnaeus, 1758) : origine du nom scientifique

Désigné Strombus (mot latin dérivé du grec [strombos] qui signifie « tourbillon, toupie, fuseau ; objets en spirale » par Linnée en 1758, le strombe géant, un moment rattaché au genre Lobatus (mot latin qui signifie « lobé »), est actuellement rattaché au genre Aliger (mot latin qui signifie « qui porte des ailes » et à l’espèce gigas (mot grec qui signifie « géant »).

Le nom vernaculaire en français d’Aliger gigas (Linnaeus, 1758) est lambi ou strombe géant.

Aliger gigas  (Linnaeus, 1758) : description

« La coquille massive du strombe géant peut atteindre 30 cm de longueur. Il est doté d’un puissant pied musculeux. L’opercule corné long en forme de croissant lui permet de creuser le sable ou d’avancer par bonds. La coquille est couverte de nombreuses excroissances coniques. L’intérieur de la coquille est lisse et brillant. La couleur varie du rose au jaune d’or.
Une échancrure à la base de la coquille permet au strombe d’observer les alentours à l’aide de ses yeux pédonculés caractéristiques et cerclés de jaune. La tête porte aussi deux tentacules sensoriels plus courts. » Sabourin Nadine 19/01/2021 in Doris https://doris.ffessm.fr/ 

« L’aliger gigas possède un moyen de locomotion inhabituel : l’animal fixe d’abord l’extrémité postérieure du pied en enfonçant la pointe de l’opercule en forme de faucille dans le substrat, puis il étend le pied vers l’avant, soulevant et projetant la coquille vers l’avant dans un sens appelé mouvement de saut. Cette façon de se déplacer est considérée comme ressemblant à celle du saut à la perche…»   https://stringfixer.com/fr/Eustrombus_gigas

Il est présent dans la mer des Caraïbes.

Aliger gigas  (Linnaeus, 1758) utilisé comme aérophone

Depuis des siècles, l’Aliger gigas cisaillé au niveau de l’apex ou percé sur le côté de l’une des premières spires en guise d’embouchure est utilisé comme trompettes cérémonielles lors de rituels religieux ou guerriers ou de célébrations communautaires. Aux îles Fidji et au Vanuatu, le son de la conque accompagnait l’absorption de breuvages magiques. Aux îles Tonga, on ne s’en servait que pour les funérailles des chefs. Dans les îles de la Société, leur son accompagnait les processions au temple ou encourageait les guerriers au combat. Elle est encore utilisée de nos jours dans les îles d’Océanie comme en Papouasie Nouvelle Guinée ou en Polynésie.

« Bientôt les accents farouches de la conque marine éclatèrent...Les différentes tribus voulurent à leur tour faire entendre leur chant de guerre, et chacune d'elles, jalouse de produire le sien avec avantage, déploya dans l'exécution la même fougue, l'entrecoupant de hourras et y jetant la rauque et sauvage rumeur des conques. » Max Radiguet (1816-1899) Les derniers sauvages. La vie et les mœurs aux îles Marquises (1882).

La coquille est utilisée comme une trompette dans l’ensemble du continent américain.

Les Amérindiens l’utilisaient pour signaler l’arrivée de leurs pirogues et réclamer de l’aide pour accoster. Et plus généralement, dans certaines cultures amérindiennes, les coquilles aérophones étaient utilisées comme trompettes cérémonielles lors de rituels religieux ou de célébrations communautaires.

Au temps de l’esclavage, la conque permettait de communiquer de morne en morne pour annoncer les grands événements de la vie ou les révoltes.

Au Pérou, il est utilisé sous le nom de ‘pututo’, à Cuba ‘Fotuto’.

Cet instrument était utilisé par les Chaskis incas, sortes de postiers de l’ancien Monde au service d’un responsable Inca, qui soufflaient dans leur poutoutou pour signaler leur arrivée.

Le fotuto (appelé aussi botuto au Venezuela ou pututu dans les Andes) est un instrument de musique à vent traditionnel de l’Amérique centrale, du Costa Rica, de Cuba et du Venezuela, issu de la culture amérindienne.

 

L’Aliger gigas était utilisé comme corne (ou conque) de brume par les marins terre-neuvas qui pêchaient la morue à bord de leur ‘doris’.

 

 

Dans la culture populaire contemporaine, les conques à base de strombes sont encore utilisées de nos jours comme instruments de musique ou comme objets de décoration : il existe de véritables orchestres dans les îles du Pacifique. Certains musiciens l’utilisent également au sein d’orchestres de composition d’Amérique centrale et Caraïbes, tel le tromboniste de jazz américain Steve Turre, connu pour son utilisation de conques. 

 

 

 

 

 

2- Charonia tritonis (Linnaeus, 1758), grand triton

 

La taxonomie des Tritonidae ou Charoniidae a évolué de Murex tritonis (Linnaeus, 1758), Eutritonium tritonis (Linnaeus, 1758), Septa tritonia (Perry, 1810) à l’appellation actuelle Charonia tritonis (Linnaeus, 1758).

 

Charonia tritonis (Linnaeus, 1758) : Origine du nom scientifique

Charonia : du nom de Charon, nocher (pilote de barque) des Enfers, personnage mythologique, qui faisait faire aux âmes des défunts la traversée du Styx, le fleuve des Enfers.

tritonis : de Triton, divinité marine de la mythologie grecque, fils de Poséidon, le dieu de la mer et d’Amphitrite déesse de la mer, une des Néréides. Triton est une créature archaïque hybride dont le haut du corps est celui d’un être humain et le bas celui d’un poisson à longue queue. Il est d’essence marine rappelant la sortie des eaux primordiales. Messager des flots, Triton, suivant certains récits mythologiques, est le découvreur dans les fonds marins de cette ‘conque’ et de ses capacités à émettre des sons.

Le nom vernaculaire en français de Charonia tritonis est ‘Grand triton’ ou Trompette de Triton.

Charonia tritonis (Linnaeus, 1758) : description

« Charonia tritonis est l’un des plus grands gastéropodes de l’Indo-Pacifique et mer rouge pouvant mesurer jusqu’à 50 cm. Sa coquille spiralée à l’apex pointu est de couleur crème ornée de taches brunes et de chevrons. Elle présente de fortes varices axiales qui interrompent les bandes s’enroulant en spirale. Le dernier tour de spire est très développé. L’ouverture est large, de couleur orange avec un bord externe dentelé et orné de bandes de couleur crème alternant avec des bandes sombres. L’ensemble du bord collumellaire est strié de noir et blanc. L’ouverture mesure la moitié de la hauteur totale de la coquille. Charonia tritonis possède un large opercule corné et un pied musculeux puissant de couleur crème avec de nombreuses taches irrégulières marron. Il dispose d’une paire de tentacules rayés de jaune et noir, portant chacun à leur base un petit œil noir cerclé de crème… Charonia tritonis est un carnivore qui recherche activement ses proies. Il se nourrit d’échinodermes, en particulier de nombreuses espèces d’Acanthaster. C’est le principal prédateur d’Acanthaster planci, espèce invasive prédatrice des récifs coralliens. » Sabourin Nadine 19/01/2021 in Doris https://doris.ffessm.fr/ 

Il y a deux espèces principales utilisées depuis l’Antiquité : Charonia lampas (Linnaeus, 1758) ou charonia lampas rubicunda (Perry, 1811) ou Charonia nodifera (Lamarck, 1822) vivant en Méditerranée occidentale et en Atlantique et Charonia tritonis variegata (Lamarck, 1816) ou tritonis seguenzae (Aradas & Benoit, 1870). Ces deux espèces vivent en en Méditerranée orientale :  

Charonia lampas est appelé ‘triton à bosses’ à cause des gros tubercules disposés sur le bord labial de l’ouverture et sur le dernier tour. Charonia tritonis variegata est appelé ‘triton dentelé’ à cause des dents qui bordent les lèvres de la coquille.

Les tritons dans la Préhistoire 
« Un mort du maritime séjour m'a appelé dans sa maison, et, tout mort qu'il est, il fait entendre une voix vivante » Théognis de Mégare (VIème s. av.J.-C.)

 

Nous savons que ces tritons, y compris l’espèce que l’on trouve dans le Pacifique (Charonia tritonis tritonis), sont utilisés depuis la Préhistoire pour émettre des signaux sonores.

Un exemplaire de Charonia lampas a été trouvée en 1931 dans la grotte ornée de Marsoulas (Haute-Garonne), datée du Magdalénien, et conservée au Muséum de Toulouse.

Des interventions humaines sont observées sur ce coquillage : le bord extérieur du pavillon du coquillage a été taillé, pour en régulariser le contour ou le rendre plus étroit. Des points rouges sont disposés sur le pavillon du coquillage. L’extrémité de l’apex a été enlevée dégageant une ouverture de 3cm de diamètre. Il semble que cet aménagement permette de souffler dans le coquillage. Le coquillage a été confié à un joueur de cor professionnel : « Jean-Michel Court (musicologue et joueur de cor professionnel) produit trois notes de hauteurs différentes, proches de do, do dièse et ré, étagées en demi-tons comme le ferait tout musicien moderne.  » En réécoutant l’enregistrement, la qualité du son m’a surpris, se souvient il. Sa puissance aussi : à un mètre du pavillon, il atteint 100 décibels, c’est le bruit… d’un camion ! » » Boudu, magazine toulousain

Et ce « triton à bosses » vieux de 18000 ans semble être l’un des plus anciens instruments de musique qui nous soient parvenus !

Les tritons  dans l’Antiquité,  la mythologie grecque et romaine
«(Prenant un coquillage percé par le haut) Voici la conque, le triton avec lequel on appelle les chasseurs dans les montagnes.» Vigny, Le Journal d'un poète, 10 juillet 1830).

Depuis des temps immémoriaux, les bergers, les pêcheurs, les chasseurs, les guerriers ont utilisé les spécimens appartenant à ces 2 espèces de tritons pour lancer des appels et faire des signaux sonores.

Ou encore utilisés dans des cérémonies rituelles comme le suggère cette pierre gravée trouvée sur le Mont Ida en Crète et représentant une jeune femme portant une conque (à ses lèvres ?) devant un autel (Photo ci-dessous in « Un triton en pierre à Malia » de Pascal Darcque et Claude Baurain  – Persée ).

Jeune-femme-soufflant-une-conque.-Gemme-de-lIda-en-Crete-dapres-A.Evans-et-J.Boardman.-Persee-un-triton-en-pierre-a-Malia-de-Pascal-Darcque-et-Claude-Baurain

Des coquilles de tritons trouvées en Crète (datées du Minoen moyen 2000 à 1600 av. J.-C.), à Chypre (datées du Bronze final 1400 à 800 av. J.-C.)… présentant un apex sectionné confirment sans aucun doute qu’elles servaient de conques.

De nombreux tritons sculptés en terre cuite, en chlorite, en serpentine, en albâtre, en faïence ont été trouvés dans l’ensemble de l’est du bassin méditerranéen confirment également l’importance accordée à ces coquillages. Tel celui trouvé dans les ruines du palais de Malia (Crète) sculpté et gravé en serpentine.

Dans la mythologie grecque, Triton, divinité hybride (mi-homme, mi-poisson) a été associé à ces deux coquilles dont elles sont devenus les attributs : « D’Amphitrite et du bruyant Poséidon naquit le grand et vigoureux Triton, dieu redoutable qui, dans les profondeurs de la mer, habite un palais d’or auprès de sa mère chérie et du roi son père. » Hésiode, La théogonie.

La Titanomachie (combat contre les Titans) est un épisode de la mythologie grecque racontant la victoire Zeus et ses alliés Athéna, Apollon, Héra, Poséidon, Prométhée etc..(dieux ordonnateurs, hominisés, à physionomie humaine) contre Cronos et ses frères, les Titans (monstres primordiaux, avec les Géants qui suivront et déclencheront une nouvelle guerre avec Zeus, qu’ils perdront également : la Gigantomachie). Ces victoires permettent à Zeus de régner sur les humains depuis le Mont Olympe et de débarrasser la Terre des êtres imparfaits. Évocation du rôle de Triton par Hygin :

«Il y a une histoire analogue sur la trompette de Triton. Car lui aussi, raconte-t-on, ayant trouvé une conque et l’ayant creusée, l’emporta avec lui contre les Titans et là il émit avec la ‘conque’ un son inouï. Les ennemis craignirent que ce ne fût le mugissement de quelque bête monstrueuse amenée par leurs adversaires, prirent la fuite et par cette défaite tombèrent au pouvoir de leurs ennemis». Caius Julius Hyginus (67 av.-17 ap. J.-C.) dit Hygin, Astronomie 2.23.

Le son ‘paniquant’ de la conque de Triton a ainsi terrorisé les Titans. Dans un épisode relaté par Ovide, le son de la conque de Triton oblige les eaux du déluge déclenché par Jupiter à se retirer :

« Les dieux approuvent la résolution de Jupiter (détruire l’humanité en promettant une race d’hommes meilleure que la première). Le genre humain périra sous les eaux, qui, de toutes les parties du ciel, tomberont en torrents sur la terre…Le dieu des mers dépose son trident, et rétablit le calme dans son empire : il appelle sur ses profonds abîmes Triton, qui couvre d’écailles de pourpre ses épaules d’azur; il lui ordonne de faire résonner sa conque, et de donner aux ondes et aux fleuves le signal de la retraite. Soudain Triton saisit cette conque cave, longue et recourbée, qui va toujours s’élargissant, et qui, lorsqu’elle retentit du milieu de l’océan, prolonge ses sons des bords où le soleil se lève aux derniers rivages qu’il éclaire de ses feux…Dès que la conque eut touché les lèvres humides du dieu dont la barbe distille l’onde, et qu’elle eut transmis les ordres de Neptune, les vagues de la mer et celles qui couvraient la terre les entendirent, et se retirèrent. Déjà l’océan découvre ses rivages ; les fleuves décroissent et rentrent dans leur lit ; et selon que les eaux s’abaissent, les collines se découvrent et la terre semble s’élever. Les arbres, longtemps submergés, montrent leurs cimes dépouillées de feuillages et couvertes de limon. La terre entière avait enfin reparu. » Ovide Métamorphoses 1 330 remacle .org 

Dans les mythes, Triton est généralement considéré comme un messager et un gardien des océans, souvent chargé de transmettre les ordres ou les annonces de Poséidon. Il est également parfois décrit comme un être belliqueux, capable de provoquer des tempêtes ou de calmer les mers agitées avec le son de sa conque.

Le phare d’Alexandrie – bâti sur l’île de Pharos entre 297 et 183 av. J.C. sous le règne de Ptolémée 1er – était équipé de quatre tritons soufflant dans une conque, chacun placé à un angle du premier étage. Dans cette configuration, Triton est considéré comme un protecteur des marins. Ces quatre tritons, sans doute en bronze, semblent avoir été ‘automatisés’ pour émettre des sons à partir d’un dispositif à base de vapeur d’eau et aider ainsi la navigation maritime. 

Récit de voyage d’un géographe au phare d’Alexandrie : « Une autre statue tournait la main vers la mer, dès que l’ennemi était à la distance d’une nuit de navigation. Quand il arrivait à portée de la vue, un son effrayant qu’on entendait à deux ou trois milles de là sortait de cette statue. Les habitants, avertis ainsi de l’approche de l’ennemi, pouvaient en surveiller les mouvements. » Al-Masudi (IXème s.), les Prairies d’Or

Sur un des côtés de « la tour des vents » (octogonale) érigée à Athènes au 2ème s. avant J.C., le dieu Borée (le vent du Nord ) est représenté portant une conque. 

 

En dehors de la mythologie grecque, Triton et les conques de mer ont souvent été représentés dans l’art, la littérature et d’autres formes de culture populaire comme des symboles de la mer et de son pouvoir mystique. Ainsi, l’image de Triton et de sa conque est devenue un élément iconique de la représentation de la mer et des mythes marins à travers le monde. Quelques représentations de Triton et de sa conque :

Les tritons dans l’histoire récente

Utilisée comme trompe guerrière en Inde, la conque (shankha) est aussi dans l’hindouisme un des attributs de Vishnou : symbole de la création de par son origine marine, symbole de l’expansion infinie de par sa spirale interne, le son qu’elle produit est l’image du son primal. Dans le bouddhisme, la conque (et notamment celle dextrogyre, assez rare) est considérée comme sacrée et représente la voix du Bouddha.

 

Au Japon, la conque fabriquée à partir d’une coquille de Charonia tritonis (triton géant) dont l’apex est remplacé par une embouchure en bambou ou en métal — généralement du bronze – est appelé « horagai ». Utilisé depuis des siècles dans certains rites bouddhistes hérités de l’inde et aussi dans l’armée pour l’appel des troupes. La musique traditionnelle associée à la conque est toujours enseignée dans certaines écoles. L’instrument peut être orné de dessins gravés dans la coquille et est généralement entouré d’un filet de corde à grosses mailles.

Aux XIXe et XXe siècle, les pêcheurs siciliens s’en servaient encore comme d’une corne de brume.

Depuis plus de quarante ans, les Marquisiens retrouvent et se réapproprient des pans entiers d’un patrimoine qui avait pratiquement disparu et se rassemblent tous les 4 ans autour de leur culture ancestrale durant le Festival des arts des îles Marquises, « Matavaa o te Fenua (ou Henua) Enata »

 

Le son unique des conques de mer et leur association avec les océans et les mystères sous-marins en font des symboles évocateurs qui continuent à capturer l’imagination des gens à travers le monde.

 

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Bibliographie

Corinne Boulinguez « De l’océan au phare d’Alexandrie : la conque de Triton » – Presses universitaires de bordeaux (2018)

Arnaud Zucker, « Album mythique des coquillages voyageurs. De l’écume au labyrinthe », Techniques & Culture , 59 | 2012 – http://journals.openedition.org/tc/6578 

Pascal Darcque et Claude Baurain « Un triton en pierre à Malia » – Persée 

https://stringfixer.com/fr/Eustrombus_gigas

https://doris.ffessm.fr/ Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et la flore Subaquatiques

http://www.stromboidea.de/?n=Species.LobatusGigas

https://www.mariellebrie.com/histoire-des-automates-androides-et-animaux/

Abel Prieur « Les coquillages du Paléolithique à l’âge du Bronze au Moyen-Orient et en Méditerranée orientale : interprétations environnementales et utilisation humaine »

https://museumtoulouse-collections.fr/la-conque-de-marsoulas/?cn-reloaded=1

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