Le tridacne, « bénitier » par excellence

Le genre Tridacna est apparu au cours de l’Yprésien (56-47 MA), premier étage de l’Eocène. Dans ce genre, le Tridacna gigas est le plus gros coquillage au monde.

1- Etymologie de « tridacne »

Du grec ancien trídaknos (« dont on fait trois bouchées » à propos des gros coquillages, puis le latin tridacna (« grande huitre »).

2- Les tridacnes

Voir la documentation les bénitiers par URSULA KORN (plongée d’Illkirch 67)

3- Classification des tridacnes

En 1819, Jean-Baptiste de Lamarck, inventeur de la famille des Cardiidae, range le genre tridacna dans cette famille. Confirmé par l’institut WoRMS. Une autre classification (ITIS) propose une famille Tridacnidae.

Actuellement, 13 espèces sont réparties en deux genres (source WoRMS) :

  • Sous-famille des bénitiers (Tridacninae)
    • Genre Hippopus
      • Hippopotame hippopotame
      • Hippopus porcellanus
    • Genre Tridacna
      • Tridacna costata
      • Tridacna crocea
      • Tridacna derasa
      • Tridacna elongatissima
      • Tridacna gigas
      • Tridacna Lorenzi
      • Tridacna maxima
      • Tridacna mbalavuanaSyn .:  tevoroa ) 
      • Tridacna rosewateri
      • Tridacna squamosa
      • Tridacna squamosina

 

4- Usage des tridacnes

  • Objets de pouvoir, parures, monnaies

Depuis plus de 10000 ans la matière du coquillage tridacne est travaillée, coupée, polie, sculptée pour en faire des objets de pouvoir, des parures, des monnaies. Par exemple en Mélanaisie, dans les Iles Salomon :

« Après avoir séjourné des millions d’années dans la terre, il arrivait que les coquilles du mollusque tridacna gigas soient retrouvées enfouies proches de la surface du sol. Cette matière fossile résistante était peu abondante et précieuse, et donc destinée aux hommes et femmes de haut rang. Seuls des maîtres artisans avaient l’aptitude de les façonner. Ce travail fastidieux et minutieux de sculpture et de polissage permettait de transformer les coquilles de bénitier en parures ou en objets de prestige. C’est certainement sa rareté et son merveilleux rendu une fois découpé et poli, qui en ont fait un objet d’échange majeur d’Asie du Sud-Est jusqu’en Mélanésie accompagnant les migrations des peuples Austronésiens. Les plus anciens vestiges d’outils façonnés en tridacne datent de 11 000 ans avant JC et proviennent de haches retrouvées sur l’île de Manus en Papouasie.

 « Matière d’exception, le bénitier fossile a donné naissance à des objets singuliers et éminemment précieux, prisés par les hommes de pouvoir en Mélanésie. Pour maintenir les prérogatives dues à leur position sociale, ces derniers se devaient d’afficher des insignes hors du commun. Contrairement aux sculptures en bois, le bénitier fossile résistant à la dégradation du temps, a favorisé pour de nombreuses générations, la donation de père en fils de ces biens inestimables, ce qui a contribué à alimenter le caractère divin de certains objets. Ces objets sont spécifiques à la Mélanésie (îles Salomon, Nord de la Papouasie et Vanuatu). La difficulté à l’époque d’acquérir de telles pièces s’est répercutée et amplifiée de nos jours. Cette pénurie explique pourquoi pendant longtemps ces objets furent ignorés des occidentaux et pourquoi aujourd’hui si peu de prototypes subsistent dans les collections. Des objets rares qui souvent sont attribués aux hommes de pouvoir, des objets de force, de rayonnement, qui ont incontestablement une valeur voire une dimension particulière ?

Cette matière précieuse, spécifique à l’Océanie, est une matière peu connue, on la confond parfois avec de l’ivoire ; elle témoigne des traditions oubliées des peuples océaniens et de la virtuosité de leurs artistes. C’est la seule matière précieuse que l’Occident ne se soit pas appropriée. Aucun processus industriel ne pourrait, en effet, remplacer le savoir-faire ancestral nécessaire au façonnage du bénitier. Il faut du temps, de la persévérance et de la dextérité pour réaliser des parures, des monnaies ou des plaques barava. L’intégralité du texte de l’interview de Didier Zanette directeur d’une galerie d’Arts à Nouméa – site de Art Côte d’Azur.

« Mais s’il est un art dans lequel les Salomonais ont excellé jusqu’au début du XX siècle, c’est celui du bénitier et de façon plus générale du coquillage. Le bénitier ou tridacne est pêché depuis des temps lointains non seulement pour la chair de l’animal, mais également pour la coquille parfois de taille impressionnante et dans laquelle sont façonnées des monnaies. Souvent, on utilisait aussi la coquille fossilisée ou en voie de fossilisation de bénitiers échoués sur la terre devenue ferme à la suite de transgressions marines ou de soulèvements tectoniques que le souvenir humain n’avait pu conserver.
Les plus anciens objets façonnés, les mbariki, présentent déjà un trou rond au milieu. Les bords ont en revanche conservé l’irrégularité du coquillage. Par la suite, c’est en prenant des coquilles plus grandes et plus épaisses que les artisans ont pu faire oublier la forme originale et dentelée du bénitier.
Les objets réalisés avaient dès lors deux finalités non exclusives : il pouvait servir de parure ou être utilisés dans les cérémonies d’échange comme monnaie (comme les poata et surtout les mbokolo à la fois monnaies et bijoux). Plus rares, les pièces rondes taillées à proximité de la charnière et qui gardent sur les deux valves une trace jaune, les mabkia pouvaient servir de repose crâne. Extrait de Catalogue de l’Exposition à la galerie DZ

  • Commerce de tridacne fossile

Le marché de l’antiquité propose régulièrement des tridacnes fossiles : 

   

  • Bénitier dans les églises chrétiennes

Le recours aux ablutions avant d’entrer dans un lieu saint remonte à l’antiquité et est pratiqué dans de nombreuses civilisations et religions. Ces ablutions se pratiquent dans des piscines, fontaines, bassins, cuves…

Dans l’église catholique, à partir du Xème siècle, le bénitier, contenant de l’eau bénite, devient un symbole, souvent sous la forme d’un simple récipient.
Ces bénitiers, de diverses formes sont placés à l’entrée des églises, contre un mur, sur un socle, ou encastrés dans un pilier. Certains ont été détournés de leur usage initial comme des mortiers provenant des apothicaireries d’abbayes, de couvents ou d’hospices. C’est le cas des bénitiers en place dans l’église Saint-Martin à Chablis (Yonne), dans l’église Notre-Dame à Saint-Père-sous-Vézelay (Yonne) ou sous le porche de l’église de Chenove dans la banlieue de Dijon (Collard Édouard. Mortiers utilisés comme bénitiers. In : Revue d’histoire de la pharmacie, 1965).

Un ancien mortier à mil est installé dans le prieuré de chanoines réguliers de saint Augustin à Sainte-Soline (79). 

Certains bénitiers sont fabriqués dans divers matériaux comme le marbre, la pierre, le métal, la porcelaine ou même le carbonate de calcium. Depuis la Renaissance, l’utilisation du « tridacne« , une espèce de bénitier, est devenue traditionnelle, d’où le nom commun de « bénitier » .

« Bénitier » vient de l’ancien français benoitier puis benestier issu de eaubenoitier lui-même dér. de l’ancien français ewe benëeite, benëoite (ca 1190 Marie de France) – CNRTL

               – Eglise St Paul-St Louis (Paris)

À titre d’exemple, dans l’église St Paul-St Louis à Paris, les deux bénitiers à l’entrée sont constitués des valves d’un tridacne provenant des Caraïbes, offertes par Victor Hugo après le mariage de sa fille Léopoldine en 1843.

 

               – Eglise St Sulpice (Paris)

De même, dans l’église St Sulpice à Paris, un tridacne offert par le doge de Venise à François 1er au XVIème siècle et offert par Louis XV en 1745 au curé de St Sulpice, Languet de Gergy, à l’occasion de nouveaux travaux dans l’Eglise, a été transformé en bénitiers par Jean-Baptiste Pigalle. Chacune des valves de ce tridacne est encastrée sur un socle en marbre gravé de motifs marins, pieuvre pour l’un, crabe pour l’autre. Volés en 1793, ils ont été restitués en 1802 grâce à l’intervention de J.B. Lamarck.

 

 

 

 

 

 

 

               – Plus modestes

 

 

 

 

 

 

 

5- Le tridacne en littérature

  • Vingt mille lieues sous le mers, Jules Verne

Souvenons-nous de la fontaine qui orne le salon du Nautilus :

« Au milieu du salon, un jet d’eau, électriquement éclairé, retombait dans une vasque faite d’une seule tridacne. Cette coquille, fournie par le plus grand des mollusques acéphales, mesurait sur ses bords, délicatement festonnés, une circonférence de six mètres environ ; elle dépassait donc en grandeur ces belles tridacnes qui furent données à François 1er par la République de Venise, et dont l’église Saint-Sulpice, à Paris, a fait deux bénitiers gigantesques ».

Et la description du tridacne dans la grotte :

 « Le capitaine Nemo avait un intérêt particulier à constater l’état actuel de cette tridacne. Les deux valves du mollusque étaient entr’ouvertes. Le capitaine s’approcha et introduisit son poignard entre les coquilles pour les empêcher de se rabattre ; puis, de la main, il souleva la tunique membraneuse et frangée sur ses bords qui formait le manteau de l’animal. Là, entre les plis foliacés, je vis une perle libre dont la grosseur égalait celle d’une noix de cocotier. Sa forme globuleuse, sa limpidité parfaite, son orient admirable en faisaient un bijou d’un inestimable prix. Emporté par la curiosité, j’étendais la main pour la saisir, pour la peser, pour la palper ! Mais le capitaine m’arrêta, fit un signe négatif, et, retirant son poignard par un mouvement rapide, il laissa les deux valves se refermer subitement. »

  • Le Désert, Pierre Loti

Lors de son cheminement entre Le Caire et Gaza à travers les déserts du Sinaï et du Negev, Pierre Loti évoque son arrivée sur les bords du golfe d’Aqaba :

 » Maintenant, nous marchons sur des coquilles, des coquilles comme jamais nous n’avions vu. Pendant des kilomètres, ce sont de grands bénitiers d’église, rangés par zones ou entassés au gré du flot rouleur ; ensuite, d’énormes strombes leur succèdent, des strombes qui ressemblent à de larges mains ouvertes, d’un rose de porcelaine ; puis viennent des jonchées ou des monceaux de turritelles géantes, et la plage, alors toute de nacre blanche, miroite magnifiquement sous le soleil. Prodigieux amas de vies silencieuses et lentes, qui ont été rejetées là après avoir travaillé des siècles à sécréter l’inutilité de ces formes et de ces couleurs…On trouve aussi les cônes, les porcelaines, les rochers, les harpes, toutes les variétés les plus délicatement peintes et les plus bizarrement contournées, la plupart servant de logis à des bernard-l’ermite et courant à toutes petites jambes quand on veut les toucher. Et cà et là, de gros blocs de corail font des taches rouges parmi ces étalages multicolores ou nacrés. »

6- Des bénitiers en Corbières 

Sans autre lien que le nom de « bénitier », une curiosité géologique dans la montagne d’Alaric dans les Corbières : « Situés dans la montagne d’Alaric, la forme étrange des calcaires du début de l’ère tertiaire a donné le nom aux Bénitiers, curiosités géologiques. L’eau s’est introduite dans les fissures, a gelé et fragmenté leurs bases, créant ainsi ces curieux bénitiers. Quatre bénitiers sont répertoriés, tous à quelques mètres les uns les autres. » Extrait site de la mairie de Floure (11).  

   

 

 

 

 

 

 

 

 

JD septembre 2021

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