SOMMAIRE ** Termes génériques pour désigner les fossiles ** Nommer les espèces de fossiles aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles ** Nommer les espèces de fossiles au XVIIIᵉ siècle ** Nommer les espèces de coquilles au XVIIIᵉ siècle ** "Deus creavit, Linnaeus disposuit"
Au cours des XVIᵉ, XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, les fossiles au sens actuel du terme, passent progressivement d’un statut de curiosités de la nature au statut d’objet d’étude sérieux par les naturalistes, jetant ainsi les bases de la paléontologie moderne. Les naturalistes et les collectionneurs de curiosités ont été confrontés au défi de nommer les organismes marins vivants ou fossiles qu’ils découvraient et collectionnaient.
Tout d’abord un mot de vocabulaire donné par Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville (1680-1765) naturaliste, collaborateur de l’Encyclopédie, grand amateur de Cabinets de Curiosités, grand voyageur et correspondant de nombreux savants et ‘curieux’ d’Europe :
"Tous ces mots de Concha, de Testa & d'Ostreum se rendent en françois par celui de Coquillages, qui ne doit être employé que pour exprimer le Poisson renfermé dans son écaille. Il sert à présenter également l'idée de l'un & de l'autre. Quand il n'est question que de l'écaille sans le poisson, le mot de Coquille convient mieux ; ainsi l'on employera dans ce traité le terme de Coquillage quand on parlera du Poisson & de son écaille conjointement, & celui de Coquille, lorsqu'il ne s'agira que de l'écaillé." Lithologie et Conchyliologie (1742)
1- Termes génériques pour désigner les fossiles, au sens actuel du terme, du XVIᵉ siècle à la fin du XVIIIᵉ siècle
A la Renaissance la dénomination ‘fossiles’ servait à désigner tous les objets tirés du sol « les matières pour lesquelles recouvrer faut creuser la terre » (Bernard Palissy, 1580). L’appellation ‘pétrifications’ est utilisée par les naturalistes pour décrire la transformation de la matière organique en pierre ou en substance minérale. Ces naturalistes pensaient que les ‘fossiles’ ressemblant à des coquilles actuelles étaient d’origine organique.
« En effet on déterre d’assez nombreuses coquilles, en partie déjà pétrifiées, en partie encore restées à l’état de vrais coquilles tendres non encore transformées : ce qui montre qu’un temps elles furent des coquilles réelles » Frascatoro, 1517
« Si tu avais bien considéré le grand nombre de coquilles pétrifiées qui se trouvent en la terre… » Bernard Palissy , Discours admirables de la nature des eaux …, 1580
"il me fut dit que au pays de Valois, pres d’un lieu nommé Venteul, il y avoit grande quantité de coquilles petrifiées, qui me causa me transporter sur ledit lieu, près d’un hermitage joingnant la montaigne dudit lieu, auquel je trouvay grand nombre de diverses especes de coquilles de poissons semblables à celles de la mer Oceane & autres." Bernard Palissy, id.
« Et combien que j’aye trouvé des coquilles petrifiées d’huistres, sourdons, availlons, iables, moucles, d’alles, couteleux, petoncles, chastaignes de mer, escrevices, burgaulx, & de toutes especes de limaces, qui habitent en ladite mer Oceane […] » Bernard Palissy, id.
Plusieurs approches ont été utilisées pour nommer et décrire ces organismes par des naturalistes comme Agricola (de natura fossilium – 1546), Conrad Gessner (De rerum fossilium lapidum et gemmarum maximé – 1565) ou Dezallier d’Argenville (Lithologie et Conchyliologie – 1742) :
Les auteurs parlent aussi de pierres figurées : des minéraux dont la forme est évocatrice des formes typiques du monde organique notamment celles qui présentent une similitude d’aspect avec des espèces de coquilles vivant dans l’océan. Ces pierres figurées seront nommées indépendamment de leur origine, suivant les diverses théories en vigueur à l’époque : crées soit par « génération spontanée », par « jeux de la nature », sous l’action du « suc lapidescent » ou de la « vertu germinative » de la Terre, transportées par le « déluge biblique » ou restes organiques après le retrait d’une présence ancienne de la mer.
Les progrès dans la connaissance des processus de sédimentation et la progressive prise de conscience de la profondeur du temps amènent un changement de dénomination : les ‘pétrifications’, les ‘pierres figurées’ deviennent des ‘médailles’ et des ‘monuments’ témoins de l’histoire de la terre.
Le premier à verbaliser ce concept est Robert Hooke (1635-1703) brillant savant anglais pluridisciplinaire, modèle du raisonnement inductif prôné par Bacon :
« Les coquilles ou autres corps sont les Médailles, les Urnes ou les Monuments de la Nature… Ils sont les plus grands et les plus durables monuments de l’Antiquité » Robert Hooke Discours à la Royal Society, 1667
C’est à cette époque que Nicolas Stenon (1638-1686), brillant anatomiste et géologue danois, publie ce texte majeur « De solido intra solidum naturaliter contento dissertationis prodromus » (1669) dans lequel il énonce trois principes en géologie, jetant les bases de la Stratigraphie. 1- Le principe de l’horizontalité primaire : des couches de roches qui ne sont pas en position horizontale sont le résultat de modifications ultérieures au moment de la sédimentation. 2- Le principe de la superposition : les couches les plus récentes sont situées au-dessus des couches les plus anciennes. 3- Le principe de la continuité latérale : les strates sédimentaires se suivent en principe latéralement, l’âge d’une strate est le même sur toute son étendue.
Ces principes ont permis une meilleure compréhension de la formation des couches de roches et des fossiles qu’elles contiennent : les fossiles sont maintenant considérés comme les ‘archives de la Terre’.
" Voilà de nouvelles espèces de Médailles dont les dates sont & sans comparaison plus anciennes, & plus sûres que toutes les Médailles Grecques et Romaines ». Fontenelle, 1710
« Comme dans l’histoire civile, on consulte les titres […], dans l’Histoire Naturelle, il faut fouiller les archives du monde, tirer des entrailles de la terre, les vieux monumens » Buffon Epoques de la nature, 1778
Les scientifiques de cette époque cherchaient à expliquer la nature et l’histoire de la Terre de manière plus rationnelle et empirique, en s’éloignant progressivement des explications purement théologiques. Certains scientifiques de l’époque ont cherché simplement à décrire les fossiles comme des archives de l’histoire naturelle, comme des annales de la création de la Terre, enregistrant les événements passés On voit fleurir les termes Archives, Annales.
On arrive au tout début du XIXᵉ siècle avec une stabilisation du vocabulaire, toujours en vigueur à ce jour, sous la plume de Lamarck et de Henri Ducrotay de Blainville (1777-1850) :
« Je donne le nom de fossile aux dépouilles des corps vivans altérés par leur long séjour dans la terre ou sous les eaux, mais dont la forme et l’organisme sont encore reconnoissables. » Lamarck (1802)
et son corollaire » Palaeontologie « , que Henri Ducrotay de Blainville (1777-1850) proposa en 1822 comme nom à donner » à la partie de la science qui traite des fossiles.«
2- Nommer les espèces de fossiles aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles.
Aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, aucun système de nomenclature formel et standardisé n’existait. Il y avait une grande confusion dans la manière dont les organismes étaient nommés. Les espèces étaient décrites par de courtes phrases latines ; le nom latin est souvent traduit en langue française par un nom vulgaire (traduction du nom savant) et cohabite avec divers noms vernaculaires du langage courant. Toutes ces dénominations hétérogènes, on va le voir, non standardisées sont souvent très longues, très imagées et pouvant désigner plusieurs objets différents suivant les auteurs et les lieux ne pouvaient favoriser la communication entre naturalistes ou avec le public.
Cette période a donc été marquée par une diversité de pratiques dans le nommage et la classification des organismes conduisant à une certaine créativité et variabilité dans la désignation des espèces.
Un système binomial de classification ne sera mis au point qu’au milieu du XVIIIe siècle par Carl von Linné dans Systema naturæ, 1758.
Noms descriptifs : Pour nommer un fossile – au sens moderne du terme – les naturalistes utilisaient des noms descriptifs qui soit dérivaient des caractéristiques morphologiques, anatomiques et comportementales de l’organisme (par exemple, un organisme pouvait être nommé en fonction de sa couleur, de sa forme, de ses motifs ou d’autres traits distinctifs) soit et surtout, par similitude ou ressemblance avec d’autres organismes bien définis. Ces descriptions étaient souvent rédigées dans le latin scientifique de l’époque.
L’utilisation fréquente du suffixe « ite » dans les noms de minéraux et de pétrifications découle de la tradition de la nomenclature scientifique où il est utilisé pour indiquer la nature minérale des substances ou pour désigner des substances minéralisées ou transformées en pierre au fil du temps. Le suffixe « ite » renvoie également et le plus souvent à une similitude.
Quelques exemples à partir de 2 auteurs : George Bauer dit Agricola et Conrad Gesner
Agricola (1494-1555), originaire de Saxe, est souvent considéré comme le père de la minéralogie. Grand observateur, il a recherché fossiles et minéraux et a proposé, dans son De Natura fossilium (1546) un essai de classification, description et dénomination des « pétrifications » déterminées sur leurs caractéristiques et leur similitude avec d’autres organismes.
Conrad Gesner (1516-1565) un naturaliste suisse (surnommé le Pline helvétique) auteur De rerum fossilium lapidum et gemmarum maxime (1565), se prête au même exercice avec des descriptions sommaires et des dénominations toujours basées sur des principes de similitude mais accompagnées, pour la première fois dans l’histoire, d’abondantes illustrations sur bois gravés particulièrement fines.
Ci-après quelques dénominations de pétrifications qui ont été retenues ou créées par Agricola dans De Natura fossilium, accompagnées par l’illustration qu’en a publié Conrad Gessner dans De rerum fossilium lapidum… :
Agricola décrit avec précision et reprend le terme astroites – du grec astron, « corps céleste » – ou pierres stellaires utilisé depuis l’Antiquité pour désigner les tiges de crinoïdes fossiles aux sections étoilées – une pétrification qui ressemble à une étoile. Il s’agit en fait d’un article de tige de pentacrine.
Trochites Du grec ancien signifiant « roue, disque » car « la nature lui a donné la figure d’un tambourin…avec une sorte de moyeu d’où partent de toutes parts des rayons vers la partie extérieure de la roue » Agricola nomme ainsi un article de tige d’encrine à section circulaire.
Bélemnites Du grec ancien bélemnon (« flèche »), ainsi désignée parce qu’elle représente, pour Conrad Gesner, une flèche. Ce n’est que Jean-Louis Alléon-Dulac ( naturaliste français, qui sera le premier à identifier les bélemnites comme des céphalopodes, dont les représentations figurent les rostres.
Ostracite Du latin ostracites, lui-même du grec ancien οστρακίτης , ostrakites[1]Ὀστραϰίτης, de ὄστραϰον, huître. On désignait sous ce nom les huîtres et gryphées fossiles.
Nummulite Du latin nummulus (« pièce de monnaie »), en raison de leur aspect (voir illustration) et -ite.
L’Onychite, nommée ainsi parce que « presque semblable à des ongles parfumés… » du latin et du grec (onux, onukhos) « griffe, ongle » ; Pas de représentation mais il pourrait s’agir de la térébratule, dont le crochet recourbé évoque la forme d’un ongle.
Brontie et Ombrie sont des pétrifications considérées depuis l’Antiquité par certains comme des pierres tombées avec le tonnerre (« brontia ») ou avec la pluie (« ombria »). Dans la description d’Agricola nous reconnaissons les oursins réguliers.
La Cténite (‘peigne’) désignée ainsi parce qu’elle « est striée et présente tout à fait l’image d’un peigne « ; c’est un pecten ou une coquille st jacques.
Glossopètre (étymologie « langue de pierre) », pour désigner ce qui « ressemble à une langue humaine ». La véritable nature des glossopètres commence à être élucidée par Conrad Gesner en 1565 : sur cette représentation, s’il interprète correctement la dent figurée en A, en l’attribuant à un requin (cane carcharia § lamia), il attribue la dent figurée en C comme « la partie supérieure d’un bec de merle » même si, ajoute-t-il, elle » ressemble à une dent de requin » . . . C’est Nicolas Stenon en 1669 qui, expérimentalement, démontrera que les glossopètres sont des dents de requins.
Dénominations utilisées par Conrad Gesner :
Echinites (du grec [ekhînos] qui signifie hérisson, et par extension hérissé de piquants). Appellation qui désigne des oursins irréguliers.
Ovum anginum Conrad Gesner reprend l’appellation donnée par Pline à une pétrification qui ressemble à « un œuf de serpent » et qui est en fait un oursin régulier (Hemicidaris). Une autre croyance qui remonte à l’Antiquité fit également assimiler leur forme globuleuse à » de petites tortues naguère écloses, changées en pierre » d’où leur nom de chelonites – pierre de tortue – .
Conrad Gesner désigne par « Hoplite« -étymologie non connue- une pétrification qui ressemble à une corne d’Amon mais qui, selon lui, s’en distingue « par un bord tortueux » (c’est-à-dire qu’il est orné d’une carène) et que l’on nomme aujourd’hui Amaltheus.
Strombite Petit gastéropode en forme de strombe (Étymologie de « strombe » toupie, coquille en cône).
De tous ces noms, seuls quelques ont encore court de nos jours, tels Bélemnites et Nummulites (ayant conservés leur affectation), Hoplites (désignant quelques espèces d’ammonites différentes du sens attribué par Conrad Gesner).
3- Nommer les espèces de fossiles au XVIIIᵉ siècle
Un exemple de dénomination de fossiles par Antoine Joseph Dezallier d’Argenville (1680-1765) naturaliste, collaborateur de l’Encyclopédie, grand amateur de Cabinets de Curiosités, grand voyageur et correspondant de nombreux savants et ‘curieux’ d’Europe : à gauche le nom latin et à droite le nom vulgaire en français
une planche de fossiles
Légende de cette planche de fossiles :
Figure 1: Lepadites – Figure 2 : Tubulites – Figure 3 : Coclites -Figure 4 : Neritites – Figure 5 : Trochites – Figure 6 : Buccinites – Figure 8 : Volutites – Figure 7 : Turbinites – Figure 9 : Cylindrites – Figure 10 : Muricites…..
Déclinaison en langue vernaculaire :
« Terebratula, eſt bivalve auſſi commune que la précédente dont l’inégalité de ſes pièces fait que l’une paroit poſer au-deſſus de l’autre ; ce qui la-fait nommer le coq et la poule ou des poulettes… Les Foſiiles connus ſous le nom de Coq et la Poule , ſe trouvent communément dans le Comté d’Eu, à ſept lieuës de la Ville de Dieppe. » Lithologie et Conchyologie (1755) p 403
« On voit à la Lettre E une Bivalve nommée le Coq & la Poule , & en Latin Concha rarior anomia vertice rostrato : elle est fort différente de celle qui est gravée dans la Planche 23 à la lettre O , dont la couleur est toute brune , & que plusieurs Curieux appellent le Bec de Perroquet. Celle-ci est grisâtre tirant sur le verd , et ondée de quelques plis imperceptibles. Une des valves est toujours interpolée fur l’autre , avec un petit bouton saillant & percé fur la valve inférieure. Il est à observer qu’il part de fa charnière en dedans une petite langue blanche un peu tortillée. Elle se voit a Paris , chez Monsieur d Azaincourt, Chevalier de l’Ordre Militaire de Saint Louis, & Lieutenant-Colonel d’Infanterie. » Lithologie et Conchyologie (1742) p 393
4- Nommer les coquilles au XVIIIᵉ siècle
De la fin du XVIIᵉ siècle au milieu du XVIIIᵉ siècle la coquille est la reine des cabinets de curiosités. Symbole de raffinement, elle est très prisée des collectionneurs et remplit les coquilliers des cabinets de curiosités (ci-contre : tiroir de coquillages du XVIIIᵉ siècle – collection Simon Schijnvoet). Si certaines sont identifiées par un nom latin, toutes ces coquilles sont désignées par un ou plusieurs noms vernaculaires en français très imagé, souvent par similitude, dont voici quelques exemples tirés de l’œuvre d’Antoine Joseph Dezallier d’Argenville (1680-1765), naturaliste et collectionneur de Curiosités :
"Voici, Monsieur, une curiosité toute des plus naturelles, ce sont les Coquilles, je vous avouerai que j’ai les yeux satisfaits quand je les jette sur un tiroir de coquilles bien émaillées : j’y admire plus qu’en toute autre chose l’Auteur de la nature ; Quelle varieté dans les couleurs ? Il semble que la nature s’y soit joüée de même que dans les formes différentes des coquilles ? On les distingue en plusieurs classes ou familles, celle des Huitres, des Limaces, des Cornets, des Porcelaines, & autres. Voici celles à qui l’on a donné des noms. L’Amiral, le Vice-Amiral, l’Imperialle, le Nautille, la Concha Veneris, le Bouton ou Echinus Marinus, l’Escalier, la Thiare, la plume (sic), le Cloud, le Lepas, le Foudre, l’Hermite, la Brûlée, la Musique, le plein-Chant, la Gensive, la Quenotte, le Ruban, la Veuve, la Pie, le Tigre, la Cassandre, la Bouche d’or, celle d’argent, le Drap d’or, celui d’argent, la Peleure d’Oignon, la Moresque, le Casque, le Turban, le Scorpion, la Grive, la Guinée ou la Speculation, le Dauphin, le Manteau Royal, la Tonne, le Cœur, le Cadran, l’Araignée, l’Epineuse, le Rouleau, la Becasse, le Porphyre, le Cilindre, le Sabot, le Leopart, l’Ecorchée, la Mere-Perle ou la Nacre, la Porcelaine, le Maron rôti, l’Olive, l’Herisson, l’Oeuf, l’Agatte, le Cornet, la Magellane, le Teton, l’Oreille d’Asne, le Coûteau, le Cloporte, l’Hebraïque, la Tanée, la Meûre, l’Oreille de Mer, la Chenille, la Trompe, le Nombril, la Collique, l’Eperon, la Lampe, la Vis sans fin, le Brocart, le Fuseau, l’Hirondelle, l’Argus, la Couronne d’Ethiopie, l’Oreille de Cochon, le Chou, la Tour de Babel, la Figue, & le Bois veiné." Extrait de "la Lettre sur le choix & l’arrangement d’un Cabinet curieux", écrite en 1727
D’autres exemples tirés des différentes éditions de « Lithologie et Conchyologie » (1742, 1755, 1780) par Dezallier d’Argenville :
Pas de Poulain « On l’apelle en François, l’Oursin, le Bouton ou l’Hérisson de mer, quelquefois Châtaigne de mer, à cause de sa figure hériffée. »
« On apelle Brissus l’Oursin de la lettre L, son compartiment en étoile percée à jour & tous ses points saillans font agréables à la vûe ; fa couleur eft grife ou blanche, avec une ouverture dans le haut, & une autre vers le milieu dans la partie de dessous, c’est par ces trous que le Poisson respire & vuide ses excrémens. Cette partie de dessous, qui est le ventre , est toute chagrinée. Les autres Oursins font ouverts dans le milieu. L’Oursin de la lettre M, pour la couleur & les ouvertures , reffembîe au dernier, mais son compartiment est différent ; il est garni d’espatules, & l’ouverture de son dos préfente la figure d’un coeur. On l’apelle Spatagus ou Spatangus, & en françois. Ces deux derniers Oursins font nommés Pas de Poulain. » Lithologie et Conchyologie (1742) p349
« Le Cadran oriental , nommé aussi l’Escalier , la Perspective ou la Rosette d’épinette , grand sabot en cône aplati , à orbes comprimés , d’un blanc-roussâtre , ornés de plusieurs bandelettes circulaires & paralleles , tachetées de marron , à base bordée d’une cannelure tranchante précédée d’une cordelette § d’un ſillon fin , aussi mouchetés de marron , & à large ombilic central , dont le bord , denté & cannelé jusqu’à la naissance de la ſpirale , est aussi moucheté , de même qu’une autre cordelette qui en ſuit le contour. » Lithologie et Conchyologie (1780) p 310
« L’Ecorce d’Orange chagrinée paroît être encore une variété dans l’espèce du Cedo-nulli**. Ce Cornet , quelquefois plus volumineux que le précédens, leur est inférieur en beauté : les couleurs de ſa robe ont pourtant de l’éclat; ſon premier orbe est aussi plus alongé , ſa clavicule très-élevée , & les pas des orbes , plus larges & peu concaves , ſont bordés de tubercules plus ſaillants. Le corps de la coquille est tantôt lisse , tantôt à ſtries fines circulaires , légérement granuleues vers le bas du premier orbe : mais dans quelques-uns, tels que celui dont nous donnons la figure , les cordelettes ſont assez distantes entre elles , & granuleuses dans toute l’étendue du premier orbe. La clavicule est panachée de blanc & d’orangé plus ou moins foncé : le reste de la robe est ſafran foncé , ou d’un bel orangé vif , quelquefois fauve , ou d’un ſauve très-brun ſans mélange. » Lithologie et Conchyologie (1780 T2) p 557
**« CEDO-NULLI, les Conchyliogiſtes nomment par excellence pluſieurs coquilles qui ſe diſtinguent au-deſſus des autres eſpèces par quelques ſingularités dans leurs marques & leurs couleurs ; ſavoir : à une coquille bivalves du genre des cames , & à une eſpèce d’univalve du genre des volutes coniques ou cornets. » Dictionnaire d’Histoire Naturelle – Favart d’Herbigny 1775.
En l’occurrence l’espèce Cedo-nulli décrite dans « Lithologie et Conchyologie » éd. 1780 appartient à la famille des Cornets, genre Cornet conique (Cônes actuels) très appréciée des collectionneurs. Ci-contre planche XVII – Cornets – Lithologie et Conchyologie (1780)
« On voit à la lettre D, l’Huitre apellée l’oreille de Cochon, ou la Crête de Coq, de couleur tirant fur le violet & fur le brun. Ses couleurs, ses grands replis, fa fermeture exacte font admirables. Celle de la lettre E, s’apelle le pied d’Asne par la ressemblance qu’elle a avec la corne du pied de cet Animal ; le fond de l’Huitre est blanc, avec de longues pointes couleur de rose. On apelle l’Huitre marquée F, le gâteau feuilleté. Ses ramages étagés, déchiquetés, &tronqués, représentent assez bien cette figure ; cette Coquille est presque toute blanche, avec des taches couleur de rose. » Lithologie et Conchyologie (1742) p318
5- « Deus creavit, Linnaeus disposuit » « Dieu a créé, Linné a organisé » Linné
Telle était la devise de Carl von Linné célèbre naturaliste et médecin suédois (1707-1778) qui, au milieu du XVIIIe siècle, a révolutionné la manière dont nous comprenons et nommons la diversité du monde naturel. Dans son œuvre majeure, le Systema Naturae, publié entre 1735 et 1767, Linné posa les bases de la classification systématique en introduisant la nomenclature binominale pour décrire les espèces animales et végétales.
Dès 1735 dans son premier essai de classification systématique des trois règnes (animal, végétal et minéral) de la nature, il divise les animaux en six groupes (Quadrupèdes, Oiseaux, Amphibiens, Poissons, Insectes et Vers) ; les mollusques sont classés dans le groupe des Vers.
La nomenclature binominale, une innovation majeure de Linné, attribue à chaque organisme un nom scientifique (nom ou binôme linnéen) composé de deux termes en latin : le nom générique (genre) suivi du qualificatif spécifique (espèce). Cette approche, d’abord appliquée aux plantes dans son ouvrage Species Plantarum de 1753, puis étendue aux animaux (dont les mollusques) en 1758 dans le Systema Naturae, offre un langage commun et standardisé qui facilite la communication entre les naturalistes et avec le grand public. Cette méthode, basée principalement sur les caractéristiques morphologiques, permet une identification précise et universelle des organismes, jetant ainsi les bases d’une classification cohérente et rigoureuse. Cette nomenclature progressivement utilisée par tous les scientifiques à partir du début du XIXᵉ siècle est toujours en vigueur de nos jours.
« La méthode, âme de la science, désigne à première vue n’importe quel corps de la nature, de telle sorte que ce corps énonce le nom qui lui est propre, et que ce nom rappelle toutes les connaissances qui ont pu être acquises, au cours du temps, sur le corps ainsi nommé ; si bien que, dans l’extrême confusion apparente des choses, se découvre l’ordre souverain de la nature. » Systema Naturae, 1766-1767.
Les précurseurs de Linné, tels que Guillaume Rondelet, Pierre Belon, Jean Bauhin, Joseph Pitton de Tournefort ont tous apporté des contributions significatives à l’évolution de la nomenclature binominale, bien que ce soit Linné qui l’ait systématisée et popularisée :
Guillaume Rondelet (1507-1566) médecin et naturaliste français, est reconnu comme le premier à avoir utilisé une nomenclature binominale, dans son ouvrage « l’Histoire des entière des poissons » en 1553. Il a introduit des termes latins pour désigner les différentes espèces de poissons, tels que Chama Peloris, Concha margaritifera, Cochlea umbilicata, Ostrea marina, Turinemn auritum (Photo ci-contre).
Pierre Belon (1517- naturaliste français a également contribué à cette évolution avec son œuvre « L’Histoire de la nature des estranges poissons marins » publié en 1551 où il a décrit et nommé diverses espèces de poissons en latin.
Jean Bauhin ( médecin et naturaliste d’origine française, auteur d’une encyclopédie botanique, a été le premier à proposer, dès le début de la Renaissance, une nomenclature regroupant genre et espèce.
Joseph Pitton de Tournefort (–botaniste français a aussi contribué à l’évolution de la nomenclature binominale en affinant la classification des plantes, en utilisant notamment les notions de genre et d’espèce.
Quelques points clés concernant l’évolution de la nomenclature binominale proposée par Linné en 1758 pour les mollusques : ce système a permis une identification précise et universelle des mollusques, facilitant ainsi leur classification. De ce fait la nomenclature binominale est utilisée dans le cadre d’une classification hiérarchique des organismes permettant de regrouper les espèces en genres, les genres en familles, les familles en ordres, et ainsi de suite, formant ainsi une structure taxonomique qui reflète les relations évolutives entre les organismes.
Développements au 19e siècle :
Au début du 19e siècle, des naturalistes tels que Georges Cuvier et Jean-Baptiste Lamarck ont contribué à l’élaboration de la classification des mollusques, proposant de nouvelles familles, genres et espèces, tout en consolidant l’usage de la nomenclature binominale. La nomenclature binominale a été largement adoptée pour décrire ces nouvelles découvertes.
Évolution de la classification et de la nomenclature binominale :
La nomenclature binominale a évolué avec la classification des mollusques qui a subi de nombreuses révisions au fil du temps à mesure que de nouvelles informations sur leur biologie, leur morphologie et leur phylogénie sont devenues disponibles. Plus récemment les techniques de séquençage de l’ADN, l’observation sous lumière ultraviolette des motifs colorés résiduels sur les coquilles (Athleta (Volutospina) spinosus (Linnaeus, 1758) © MNHN) ont permis de mieux comprendre les relations phylogénétiques entre les différents groupes de mollusques. Tous ces progrès dans la compréhension de la diversité biologique et des relations évolutives entre les espèces ont conduit à des révisions de la classification et à des changements dans les noms scientifiques des mollusques.
- Exemple de nomenclature binominale et de description pour Conus spinosus (genre, espèce) par Linné in Systema naturae éd. 1758 Tome 1 p 715.
Michel Pacaud et Jacques Pons in Fossiles n°16, Revue française de Paléontologie, auteurs du positionnement des moulages de fossiles d’Athleta (Volutospina) spinosus sur le plat réalisé par des ateliers postérieurs à celui de Bernard Palissy (photo ci-contre) et détenu par le MET font apparaître les différentes figurations d’Athleta (Volutospina) spinosus (Linnaeus, 1758) et dénominations à partir du XVIIe siècle :
Le nom de ce taxon, avant d’être défini par Linné en 1758, est décrit comme « a sabuletis Parisiens » (extrait des sables de Paris) par Anna et Suzanna Lister (1692), comme « une sorte de murex fossile« par James Petiver (1711), comme « un strombus » par Niccolo Gualtieri (1742), comme « un rocher… nommé Muricite avec des pointes dans toute son étendue… » par Dezallier d’Argenville (1742), sans oublier une des appellations les plus poétiques « Le rocher à liserés couronné d’épines ». » par M. Favanne de Montcervelle (1784)…
A partir de cet exemple, on constate que faute d’un langage précis et universel, les auteurs ont utilisé de nombreuses appellations et descriptions, rendant difficile la capitalisation de l’évolution de toutes les données acquises.
- Exemple d’évolution ultérieure de l’appellation Conus spinosus proposée par Linné (1758) dans le cadre de sa première nomenclature binominale appliquée aux mollusques : elle est devenue Strombus spinosus par Shröter (1784) et Chemnitz (1795), Voluta spinosa par J.B. de Lamarck (1816) et G.P. Deshayes (1824), Volutilithes spinosa par Briart et Corn (1869), Volutilithes spinosus par Cossmann (1889), Athleta* (volutospina) spinosa par Cossmann (1913) et Athleta (volutospina) spinosus (Linnaeus, 1758) † nom actuel par J. Le Renard et J.M. Pacaud (1995) (genre, sous-genre, espèce, auteur, date, extinction).
*Timothy Abbott Conrad paléontologue américain (1803-1877) est l’auteur du genre Athleta en 1853. Article publié dans Proceedings of the Academy of Natural Sciences of Philadelphia (1853) p448.
Règles de nomenclature spécifiques :
Des règles de nomenclature spécifiques aux mollusques ont été établies pour garantir la cohérence et la précision dans la classification, notamment par des organismes tels que la Commission internationale de nomenclature zoologique (ICZN en anglais), instituée en 1895, lors du 3e congrès international de zoologie de Leyde. Son rôle essentiel est d’établir le Code international de nomenclature zoologique qui contient toutes les règles de désignation des espèces animales, dont les mollusques. Voir aussi l’article de Daniel « Taxonomie et Nomenclature« .
Des bases de données en ligne, comme World Register of Marine Species (WoRMS), MolluscaBase répertorient les noms valides des espèces de mollusques, ainsi que des informations sur leur taxonomie, leur répartition géographique et d’autres aspects de leur biologie.
En somme, la nomenclature binominale introduite par Linné a été un pilier essentiel de la classification des mollusques, suivant une évolution parallèle à celle des autres groupes d’organismes. Malgré les ajustements nécessaires au fil du temps, elle s’avère robuste et demeure un outil fondamental pour les scientifiques dans leur exploration et leur compréhension de la diversité biologique de notre planète.
Bibliographie :
François Ellenberger Histoire de la Géologie
Jean GAUDANT et Geneviève BOUILLET La paléontologie de la Renaissance – (COFRHIGEO) (séance du 9 mars 2005)
JD mars 24