Meretrix lusoria (Röding, 1798)

“Kisen Hōshi,” de la série « Yatsushi Rokkasen, élégantes parodies de six poètes immortels » – Chōbunsai Eishi (1796) – MET New-York

La miniature peinte sur la coquille de Meretrix lusoria, que la courtisane tente de faire correspondre à sa paire sur l’autre moitié de la coquille, représente une scène du « Dit du Genji », un classique de la littérature japonaise du début du XIe siècle écrit par la noble Murasaki Shikibu. Dans la miniature, Kaoru, le fils illégitime de la femme de Genji, la troisième princesse, rend visite à une jeune femme d’Uji, au sud de Kyoto, qui est une habile joueuse de l’instrument de musique koto. Rechercher les 2 valves d’un même spécimen de Meretrix Lusoria est un jeu traditionnel japonais connu depuis le VIIIe siècle.  

Appariement des 2 valves de Meretrix lusoria

Meretrix lusoria, est une espèce de palourde d’eau saumâtre ou salée de la famille des Veneridae. C’est un mollusque marin bivalve dénommé hamaguri (aussi connu sous le nom de palourde commune d’Orient) au Japon que l’on trouve principalement dans la baie d’Ise, zone d’eau saumâtre, où se mélangent l’eau douce de la rivière Kiso et l’eau de mer. Ise se situe sur la côte sud du Japon à 100 km à l’est de Kyoto.

Comme tous les bivalves (bivalvia) de la famille des Veneridae, Meretrix lusoria est un mollusque à la coquille équivalve. 

La charnière est l’articulation qui maintient ensemble les deux valves. Cette charnière est composée sur chaque valve de saillies (appelées dents articulaires) entourées de fossettes, petites dépressions dans lesquelles viennent s’insérer les dents de l’autre valve. 

La charnière est également composé d’un ligament, structure organique non calcifiée et élastique qui relie les deux valves au niveau de la ligne charnière et fonctionne comme un ressort (sorte de résilience élastique). Le rôle de ce ligament est antagoniste à celui des muscles adducteurs fixés à la surface interne des deux valves : lorsque les muscles adducteurs, fixés à la surface interne des deux valves qui les rapprochent, se relâchent, les valves s’écartent. Cette disposition permet à la coquille de s’ouvrir et se fermer sans que les deux moitiés ne se désarticulent.

 

L’ouverture des valves permet au coquillage d’assurer ses fonctions de respiration (capter l’oxygène), d’alimentation (filtrer le plancton), de purification (évacuer les déchets organiques), de reproduction (disséminer les gamètes), de locomotion (laisser le passage du pied)…

Chaque famille de bivalves dispose d’un modèle de charnière qui lui est spécifique.

Concernant la famille des veneridae à laquelle appartient Meretrix lusoria, la charnière est dite hétérodonte et dispose de trois dents articulaires (cardinales) simples.

 

A l’intérieur de chaque famille, pour un spécimen donné, les 2 valves s’épousent/s’emboitent si parfaitement – et ne le font qu’avec leur moitié naturelle –, qu’il est impossible de les associer à celles d’un autre specimen. Un fait subtil invisible à l’œil nu, mais indéniable.

Les coquilles de Meretrix lusoria dans le jeu kai-awase

Cette particularité a inspiré aux japonais de la cour de Heian (du VIIIe au XIIe siècle) le divertissement appelé kai-awase (« assembler les coquilles »), le jeu des « coquilles assorties » ou « jumelage de coquilles », jeu qui consiste à retrouver les bonnes paires de coquilles. Traditionnellement on utilisait les coquilles de palourdes japonaises hamaguri, que l’on trouvait principalement dans la baie d’Ise. L’intérieur des coquillages était peint, orné de dessins ou de vers de poèmes japonais.

 

 

Ce jeu faisait partie du trousseau des jeunes mariés issus de la noblesse de cour ou de familles de guerriers. La particularité du jeu était l’appariement des coquilles bivalves : un concept élaboré pour symboliser l’alliance familiale par le mariage ainsi que les relations monogames. « Une femme vertueuse ne se donne pas deux fois » était l’une des injonctions morales pour les femmes de la classe des samouraïs. En d’autres termes, comme les demi-coquilles, qui ont une une correspondance et une seule, une femme devait s’attacher à son mari, même lorsqu’elle est veuve. Les coquilles étaient l’incarnation symbolique parfaite de cette injonction. La force du symbole de cette pratique, initialement née dans les mariages des classes supérieures (la noblesse, les samouraïs) explique sa rapide diffusion dans toute la société japonaise. Ci dessous « Kaioke », boites octogonales qui contenaient le jeu de kai-awase offert aux jeunes mariés.  

Choisis pour leur robustesse, leur forme ample, attrayante et agréable, les coquillages utilisés étaient exclusivement des palourdes de l’espèce Meretrix lusoria, idéalement de la baie d’Ise dans le centre du Japon. Ils sont nettoyés, polis puis les intérieurs couverts de papier et de feuilles d’or et décorés avec des scènes du « Dit du Genji » ou des scènes de la nature. La même image est peinte sur les deux valves de la coquille à l’intérieur. L’extérieur des coquilles était poli mais non décoré. Le jeu, très convivial, pouvait être joué par une vingtaine de joueurs.

La robustesse des coquilles de Meretrix lusoria

De nombreuses études scientifiques ont été menées pour tenter d’expliquer la robustesse des coquilles de Meretrix lusoria. Par exemple : « La propriété mécanique de ce composite biologique naturel est meilleure que les autres couches d’aragonite de coquilles de mollusques et de perles selon les données des tests de micro-dureté. La structure tressée et la phase de renforcement des microtubules organiques sont responsables de ses hautes performances mécaniques ». Meretrix lusoria : a natural biocomposite material: in situ analysis of hierarchical fabrication and micro-hardness –Zhihong Zhu Hua TongYaoyao RenJiming Hu in National Library of Medecine

Ces propriétés mécaniques exceptionnelles de Meretrix lusoria ont, notamment, été mises à profit pour réaliser, traditionnellement, les pierres blanches du jeu de Go avec la nacre de ce coquillage ; les pierres noires étant réalisées en ardoise de la région d’Osaka. Taillées sous forme de lentilles biconvexes.

Meretrix lusoria dans la cuisine japonaise

Malgré la raréfaction de la ressource suite à sa surexploitation, la chair de palourde Meretrix lusoria est encore abondamment utilisée dans la cuisine japonaise : cuisson à la vapeur de saké, différents sushis, palourdes grillées à l’aide de pommes de pin (spécialité de Kuwana) ou bouillies avec des racines de gingembre râpées ou encore mijotées dans une sauce soja et aromatisées au sirop de mizuame (fécule) sucré…

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