Le mot byssus : de l’Antiquité à la zoologie moderne
Actuellement, le mot byssus, dérivé du grec bussos (signifiant « lin fin »), désigne l’ensemble des fibres sécrétées par une glande spécialisée — dite glande byssogène située dans le pied de l’organisme— chez certains mollusques bivalves (notamment de la famille des Mytilidés, Pinnidés, Pectinidés). Ces filaments leur permettent de s’ancrer solidement au substrat.
Dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (v. 1760), le chevalier de Jaucourt écrit :
« Mais s’il est certain qu’il y avait chez les anciens du bysse tiré du règne végétal, il y a tout lieu de penser qu’ils tiraient aussi du byssus des pinnes marines. Que dis-je, de penser ? Aristote l’assure positivement ; car il nomme byssus, la soie de ces coquilles. »
Cette affirmation, souvent reprise jusqu’à nos jours, est pourtant inexacte.
Bien qu’il soit avéré que les sécrétions filamenteuses de certains bivalves, comme la Pinna nobilis, aient été récoltées et filées dans l’Antiquité, aucune source grecque ou latine ne désigne ces filaments par le mot byssos. Ce terme désignait exclusivement le tissage avec des fibres végétales de lin.
Dans son Histoire des animaux (Livre V, chapitre 15), Aristote mentionne bien la Pinna, mais il se contente d’écrire :
« Αἱ πίνναι ῥίζας ἐκβάλλουσιν » — Les pinnes émettent des racines.
Ces « racines » correspondent aux filaments que nous appelons aujourd’hui byssus, mais Aristote ne les compare jamais à de la soie, ni n’emploie le terme byssos dans ce contexte.
Il en va de même pour Pline l’Ancien, qui évoque dans son Histoire naturelle le byssus comme une fibre végétale fine, vraisemblablement un lin de grande qualité. Il ne mentionne nulle part une origine animale possible du lin ou une utilisation textile des filaments de coquillage.
Byssus est le terme zoologique pour cette barbe en fibres. En 1555, le naturaliste français Guillaume Rondelet (1507-1566) fut le premier à utiliser le terme Byssus pour désigner les fibres d’ancrage de certains mollusques bivalves dans son livre Universae aquatilium historiae « Histoire entière des poissons, » sur les poissons de la mer :
« Ceux qui ne bougent d’un lieu vivent seulement en l’eau, nulle bête de terre est attachée à un lieu, mais en l’eau s’en trouvent plusieurs de telle sorte, ce que dit Aristote est très vrai.. Aucunes d’icelles sont attachées avec une fine et déliée soie, que l’on nomme byssus, comme la pinna et les moules… »
Avant cette première occurrence, « il y avait une confusion totale entre le lin, la soie, le coton et ce que nous appelons maintenant Byssus. » (Gabriel Vial, CIETA, Lyon, 1983)
Bibliographie : https://muschelseide.ch/en/linguistic-aspects/?utm
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Annonce des trois volets : la moule et la composition du byssus, la Pinna nobilis et ses usages textiles antiques, les anomies, fossiles et actuelles.
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La moule
Le bivalve le plus commun à produire un byssus est la moule. Ce faisceau de filaments soyeux, formé de protéines, lui permet de s’ancrer solidement au substrat. Il est produit par une glande spécialisée, la glande byssogène, située dans le pied de l’animal. Chez la moule, le byssus est expulsé par le pied, puis passe entre les deux valves de la coquille avant de s’attacher au support.
Les moules peuvent même se déplacer lentement en utilisant ces filaments : elles projettent un fil, l’attachent, puis le rétractent pour se rapprocher du point d’ancrage.
Chaque filament de byssus présente une remarquable combinaison de résistance, d’élasticité et d’adhérence. Les fibres, à base de protéines de type quinone et kératine, possèdent une cuticule extérieure riche en tyrosine, un acide aminé doté de propriétés adhésives, même en milieu humide. Cette couche se combine aux ions ferriques pour former un complexe à la fois extensible et très résistant à l’usure.
Pour une présentation visuelle et pédagogique du mécanisme de fabrication du byssus chez la moule, on peut consulter ce cabinet de curiosités virtuel du site Codex Virtualis.