Le patrimoine géologique

« Nous ne tenons pas la Terre de nos parents, elle nous est prêtée par nos enfants »

L’arrêté de protection de géotope du site d’intérêt géologique du domaine de Grignon à Thiverval-Grignon (une zone incluant tout le secteur autour de la Falunière et une zone incluant la Côte aux buis – voir carte sur l’arrêté) ainsi que celui relatif au site de la Ferme de l’Orme à Beynes signés par le Préfet des Yvelines le 26 mai 2018 sont l’occasion d’évoquer la lente évolution de la notion de patrimoine et plus particulièrement celle du patrimoine géologique et de sa protection.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est en 1792, au plus fort des saccages perpétrés sous la révolution française qu’est né le concept de patrimoine national suivi en 1793 du concept de monument historique, débouchant dès 1810 sur une démarche d’inventaire et de publication. En 1837 est créée la commission des monuments historiques. Sur commande de Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, ont lieu les premières grandes restaurations : la basilique de Vézelay, la cité de Carcassonne, le château de Pierrefonds (60), la cathédrale ND de Paris…

  • La Loi du 30 mars 1887

Le 30 mars 1887 est votée la première loi relative à la conservation des monuments et objets mobiliers présentant un intérêt historique et artistique.

Tout au long du XXème siècle la protection sera étendue aux monuments naturels, aux sites, aux œuvres d’art, aux collections, aux découvertes archéologiques, aux abords des monuments historiques, aux quartiers anciens et les pouvoirs de l’Etat ne cesseront d’être accrus (limites au droit de propriété pour cause d’intérêt public et travaux de restauration menés d’office…)

A partir de la moitié du XXème siècle, l’environnement est au cœur du patrimoine à protéger avec la création des parcs nationaux en 1960, le vote de la loi littoral en 1975 et de la loi montagne en 1985.

Quant à la préservation des objets géologiques, c’est certes une préoccupation ancienne, mais c’est une préservation ex situ, notamment à travers les collections des cabinets de curiosités d’amateurs éclairés et des musées ou autres établissements publics. La nécessité de préserver in situ les sites géologiques et de les considérer comme patrimoine géologique est apparue dans les années 1970.

Quelques jalons importants concernant le patrimoine géologique :

  • La convention du 16 novembre 1972 de l’UNESCO

Dans son art.2, la convention du 16 novembre 1972 de l’UNESCO relative à la protection du patrimoine mondial définit la notion de patrimoine naturel comme « l’ensemble des monuments naturels constitués par des formations physiques ou biologiques (…) qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue esthétique ou scientifique ». Cette convention inclue également dans la notion de patrimoine naturel « les formations géologiques (…) qui ont une valeur exceptionnelle vis-à-vis du point de vue de la science ou de la conservation ». 

  • La loi n° 76-629 du 10 juillet 1976

La loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 renforce la règlementation concernant la protection de la nature et le principe de la préservation du patrimoine géologique est introduit en permettant le classement en réserves naturelles des « gisements de minéraux et de fossiles » ainsi que des « formations géologiques, géomorphologiques et spéléologiques remarquables »,

Dans la foulée sont créés les premières réserves naturelles à caractère géologique : en 1982 la réserve naturelle nationale de Saucats – La Brède (33) et la réserve naturelle nationale François Le Bail, sur l’île de Groix (56).

  • Juin 91 : le 1er symposium international sur la protection du patrimoine géologique

Placé sous le patronage de l’UNESCO, le 1er symposium international sur la protection du patrimoine géologique qui s’est déroulé à Digne (France) du 11 au 15 juin 1991 aboutit à la déclaration internationale des droits de la mémoire de la Terre :

1 – Chaque Homme est reconnu unique, n’est-il pas temps d’affirmer la présence et l’unicité de la Terre ?

2 – La Terre nous porte. Nous sommes liés à la Terre et la Terre est lien entre chacun de nous.

3 – La Terre vieille de quatre milliards et demi d’années est le berceau de la Vie, du renouvellement et des métamorphoses du vivant. Sa longue évolution, sa lente maturation ont façonné l’environnement dans lequel nous vivons.

4 – Notre histoire et l’histoire de la Terre sont intimement liées. Ses origines sont nos origines. Son histoire, est notre histoire et son futur sera notre futur.

5 – Le visage de la Terre, sa forme, sont l’environnement de l’Homme. Cet environnement est différent de celui de demain. L’homme est l’un des moments de la Terre ; il n’est pas finalité, il est passage.

6 – Comme un vieil arbre garde la mémoire de sa croissance et de sa vie dans son tronc, la Terre conserve la mémoire du passé… une mémoire inscrite dans les profondeurs et sur la surface, dans les roches, les fossiles et les paysages, une mémoire qui peut être lue et traduite.

7 – Aujourd’hui les Hommes savent protéger leur mémoire : leur patrimoine culturel. A peine commence-t-on à protéger l’environnement immédiat, notre patrimoine naturel

Le passé de la Terre n’est pas moins important que le passé de l’homme. Il est temps que l’Homme apprenne à protéger et, en protégeant, apprenne à connaître le passé de la Terre, cette mémoire d’avant la mémoire de l’Homme qui est un nouveau patrimoine : le patrimoine géologique.

8 – Le patrimoine géologique est le bien commun de l’Homme et de la Terre. Chaque Homme, chaque gouvernement n’est que le dépositaire de ce patrimoine. Chacun doit comprendre que la moindre déprédation est une mutilation, une destruction, une perte irrémédiable. Tout travail d’aménagement doit tenir compte de la valeur et de la singularité de ce patrimoine.

9 – Les participants du 1er Symposium international sur la protection du patrimoine géologique, composé de plus d’une centaine de spécialistes issus de trente nations différentes, demandent instamment à toutes les autorités nationales et internationales de prendre en considération et de protéger le patrimoine géologique au moyen de toutes les mesures juridiques, financières et organisationnelles.

Fait le 13 juin 1991, à Digne, France.

  • La Loi n°2002-276 du 27 février 2002

L’article L411-5 du code de l’environnement modifié par la Loi n°2002-276 du 27 février 2002, instaure l’inventaire du patrimoine naturel :  

« – L’inventaire du patrimoine naturel est institué pour l’ensemble du territoire national terrestre, fluvial et marin. On entend par inventaire du patrimoine naturel l’inventaire des richesses écologiques, faunistiques, floristiques, géologiques, minéralogiques et paléontologiques.

L’Etat en assure la conception, l’animation et l’évaluation. Les régions peuvent être associées à la conduite de cet inventaire dans le cadre de leurs compétences. En outre, les collectivités territoriales peuvent contribuer à la connaissance du patrimoine naturel par la réalisation d’inventaires locaux.

Ces inventaires sont conduits sous la responsabilité scientifique du Muséum national d’histoire naturelle. »

Roches, fossiles, minéraux in situ mais aussi affleurements, paysages peuvent donc avoir une valeur patrimoniale et vont bénéficier de la même dynamique que les autres types de patrimoines déjà identifiés.

L’inventaire du patrimoine géologique de l’ensemble du territoire français a pour objectif :

         – d’identifier l’ensemble des sites et objets d’intérêt géologique, in situ et ex situ

         – de collecter et saisir leurs caractéristiques sur des fiches appropriées

         – d’identifier les sites d’intérêt géologique à vocation patrimoniale et d’évaluer leur niveau de protection nécessaire.

  • Le Décret n° 2015-1787 du 28 décembre 2015

Ce décret relatif aux mesures de protection des sites d’intérêt géologique précise que : « Dans chaque département, la liste des sites d’intérêt géologique faisant l’objet des interdictions (…) est arrêtée par le préfet. Les sites d’intérêt géologique mentionnés (…) répondent au moins à l’un des caractères suivants :

            – constituer une référence internationale

            – présenter un intérêt scientifique, pédagogique ou historique

            – comporter des objets géologiques rares. 

En vue de protéger les sites d’intérêt géologique figurant sur la liste mentionnée, le ou les préfets territorialement compétents peuvent arrêter toutes mesures de nature à empêcher leur destruction, leur altération ou leur dégradation.»

Pour réaliser l’inventaire national du patrimoine géologique (INPG) qui pourra conduire à des mesures de protection, plusieurs instances sont mises en place :

Conférence Permanente du Patrimoine Géologique (CPPG), instance de réflexion créée par le ministère en charge de l’Ecologie et qui comprend : le Muséum National d’Histoire Naturelle, le BRGM (Bureau des Recherches Géologiques et Minières), la Société Géologique de France, les Musées de France, les Réserves Naturelles de France, la FFAMP (Fédération Française Amateur de Minéralogie et Paléontologie) et deux experts. La CPPG coordonne l’ensemble du dispositif d’inventaire.

Ce sont les Directions régionales et interdépartementales de l’environnement et de l’énergie (DRIEE) qui sont maîtres d’œuvre de l’inventaire ; elles s’appuient sur un Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN) institué dans chaque région ; il couvre toutes les disciplines des Sciences de la Vie et de la Terre et, pour la partie Géologie, s’appuie sur une Commission Régionale du Patrimoine Géologique (CRPG).

La DRIEE peut décider de rendre un avis favorable à la protection d’un site d’intérêt géologique. Ainsi, certains sites d’intérêt géologique sensibles et/ou remarquables sont susceptibles d’être préservés du fait de leur inscription sur l’inventaire du patrimoine géologique.  Concrètement, pour les sites concernés, au vu de tous les avis recueillis, un arrêté préfectoral de protection de géotope (APPG) sera pris par le préfet.

A ce jour, les deux premiers sites en France à bénéficier d’un APPG sont le domaine de Grignon à Thiverval-Grignon (78) et le lieu-dit de la ferme de l’orme à Beynes (78).

Voir les différentes étapes de ce processus appliqué au domaine de Grignon

Les modalités pratiques pour constituer l’inventaire national du patrimoine géologique sont décrites dans l’ouvrage DE WEVER P., LE NECHET Y. & CORNEE A. (2006). – Vade-mecum pour l’inventaire du patrimoine géologique national. – Mém. H.S. Soc. géol. Fr., 12 – 162 p.

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Crédits photographiques

Schistes bleus à glaucophane, épidote et grenat, RNN François-le-Bail île de Groix – © R.-P. Bolan – Bretagne vivante SEPNB

Pli couché dit « du vélodrome », RNN géologique de Haute Provence – © F. Houlette

Bibliographie :

L’inventaire du patrimoine géologique – Patrick de Wever

Le patrimoine géologique : les mots pour le dire – Max Jonin 

Site internet de VMF (Vieilles Maisons Françaises)

 

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